Jean Clair voyait dans le corps la grande donnée artistique du vingtième siècle, quand même l’Abstraction semblait dominer le monde de la création. En 2018, peu nombreux en France sont les artistes qui donnent encore à l’Abstraction ses grandes lettres de noblesse.
Quelques grands musées, quelques fondations, et quelques galeries audacieuses, jouent cependant le grand jeu de la disparition de la figure et de l’objet, au bénéfice de la plus haute abstraction picturale, et de la presque pure peinture. Les prises de risques sont plus rares. Et pourtant, infinis sont les passages en distancé pays d’abstraction…
Une grande partie des « produits » consacrés qu’affectionne la modernité se définit par le rôle dominant de l’intellect, confort assuré, phénomènes de surface garantis, jeux d’enfants émerveillés, pour un temps, par les outils de l’époque… Que disent, chez Turner, ces affrontements chromatiques fusionnels, déchirés et déchirants, qui opposent les éléments premiers qui créent le monde et les forces imaginantes ? Que disent, chez Van Gogh, chez Nolde, ces combats du ciel, de l’eau et de la terre ? Dans ces batailles au cœur de l’œuvre qui font l’art, dans ces tensions si terribles que l’homme a déserté l’espace, quel drame d’existence se joue à corps perdu ?
Au début du siècle dernier, la mort des images est achevée, au moins pour les artistes en quête d’oxygène mental. L’art abstrait ouvre ses voies avec Kupka, Malevitch et Kandinsky. Mais l’Abstraction de ces grands plasticiens marqués d’intellect, ne sera pas la seule voie de l’abstraction. L’abstraction expressionniste des grands Américains d’avant-guerre, puis l’abstraction lyrique et les abstraits contemporains gardent contact avec les profondeurs charnelles, comme la tache aveugle qui ferait vivre la vision. Sur les paysages du dehors se projettent les affres et les mystères du dedans, et le corps intime, implosé et virtuel, secret et inconnu, est l’arrière-monde sur lequel se déploient les mondes visibles.
Repères possibles en abstraite magie créatrice
Enfiévré du trait qui se hasarde, et natif des profondeurs qui exultent, Marcel Arnould invente, entre le dit et le non-dit, le peuple secret de la trace, de la tache et de la déchirure.
Les confins des grands lointains, et ceux du dedans les plus infimes, sont l’affaire de Dan Barichasse, en taches d’extrême vie, cosmique ou cellulaire, cellulaire et cosmique, au sein du monde aqueux des origines.
Nanna Johanson voyage en verticalité dans l’humide poussière des signes, étirant à l’infini de subtils pans de matière peinte. Fragments éclatés d’un langage indéfiniment ouvert
Jean-Charles Quillin le magicien dit la nuit d’origine des corps, et sa très longue immense sortie des ténèbres. Corps de cendres et brûlures sombres.
Chez Pierre Souchaud, le dehors et le dedans s’étreignent. Sa matière, lisse et maigre, tient du parchemin d’âme. Coït cosmique, aux limites du tragique et de la volupté.
Yolaine Wuest affronte à vif les déchirures de sa nuit. Alphabet immaculé d’incroyable densité. Et quand une seule trace s’éveille, le monde s’élève.
« Le beau est dans la distance » Simone Weil
L’abstraction d’hier et d’aujourd’hui, d’une richesse parfois solitaire, dit la salutaire prise de distance avec le monde saturé des fragiles images. Elle restaure le vif de la création libre. De Daniel Mourre à Elisabeth Sandillon, d’Ivana Minafra à Dominique Meunier, ou d’Anne Bertoin à Didier Caudron, infinis sont les passages en pays d’abstraction… Rencontres vitales…
En couverture : Eugène van Lamsweerde – Princeton – 1985 – 132×127 cm
Résumé de la politique de confidentialité
Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Cookies strictement nécessaires
Cette option doit être activée à tout moment afin que nous puissions enregistrer vos préférences pour les réglages de cookie.
Si vous désactivez ce cookie, nous ne pourrons pas enregistrer vos préférences. Cela signifie que chaque fois que vous visitez ce site, vous devrez activer ou désactiver à nouveau les cookies.