“Le cri de liberté. Chagall politique“, titre choisi par les commissaires Meret Meyer et Ambre Gauthier, directrice des Archives Marc et Ida Chagall à Paris, pourrait apparaître comme une approche restrictive de l’œuvre d’une des personnalités les plus importantes du XXème siècle. Résultat d’un immense travail au cœur des archives de l’artiste (recherches, déchiffrages, traductions), la relecture sensible et érudite d’un artiste bien moins à la marge du temps qu’on ne le croyait donne lieu à une exposition exceptionnellement documentée à la Piscine de Roubaix, à l’initiative des responsables des musées de Roubaix, de Nice et de la Fundacion MAPFRE de Madrid.
Chagall le Juif errant, né en 1887, porteur de sa culture, de son histoire, a grandi dans le shtetl, quartier réservé aux Juifs de la ville de Vitebsk dans la Russie tsariste imprégnée d’antisémitisme. Chagall est le créateur fécond de l’Académie des Beaux-Arts dans sa ville, dans la Russie de 1917, ainsi que des panneaux subversifs du Théâtre d’Art Juif, retrouvés dans les réserves de la Galerie Tretiakov à Moscou. Chagall, exilé dans Paris, découvre les idéaux affichés par la Révolution française, et se lie d’amitié avec Cendrars, Apollinaire et Max Jacob. En 1926-1927, il illustre, dans sa nouvelle patrie pas toujours reconnaissante, les « Fables de la Fontaine ». Dénigré plus tard par le régime nazi et son « art dégénéré », liquidé lors de la fameuse « Vente de Lucerne », il mettra toujours au centre de son œuvre un multiple message de paix, d’espoir, d’égalité, d’humanité, de couleur, de musique et de poésie. Le vitrail, sur le thème de la Paix commandé par l’Organisation des Nations Unies en 1963, illustre parfaitement ces valeurs. L’artiste a imaginé autour d’un couple central des animaux, des saltimbanques et des figures bibliques qui tournoient et saluent l’avènement de la paix universelle. Le tableau intitulé « Maquette définitive pour La Paix » donne un aperçu de cette réalisation.
L’engagement de l’artiste apparaît sous de multiples aspects : les images du passé (l’évocation du shtetl teintée d’imagerie populaire), l’exil (le « Luftmensch », un déraciné en apesanteur), l’ancrage dans la culture juive(« le Violoniste vert »), l’élan révolutionnaire déçu ( Lénine en équilibre sur une main tel un artiste de cirque au centre de « La Révolution »), l’horreur de la guerre (« La Guerre », huile sur toile et « Le départ pour la guerre », encre de Chine), le voyage en Palestine (les illustrations de l’Ancien Testament, ou encore « Jérusalem, le mur des Lamentations »), ou la montée du nazisme (« Solitude »). La reconstruction de l’Europe (« la Commedia dell’arte ») dit la vision monumentale d’un monde en apparence enchanté, troublé par l’œil vigilant d’un drôle de coq rouge, au centre de la composition.
Si l’utilisation poétique des sujets bibliques est partie intégrante de l’œuvre, à travers des personnages fondateurs de la communauté juive, la portée politique n’est jamais loin. Dans « Résurrection », Jésus est revêtu d’un châle de prière juif, le talit, en guise de périzonium. La plus grande tragédie du XXème siècle, l’oppression subie par un peuple, la Shoah, est dénoncée. Le tableau renvoie à une autre composition tragique, « l’Apocalypse en lilas », dans laquelle un Christ se dresse devant Charlie Chaplin portant un brassard orné d’un svastika …
Cette rencontre avec la création prodigieuse de Chagall, quatrième rendez-vous avec ce grand artiste à la Piscine de Roubaix, montre l’inépuisable richesse d’une œuvre polysémique, son ancrage dans l’histoire du XXème siècle. Elle conforte sans nul doute l’image politique d’un humaniste engagé. Très beau catalogue avec de nombreux essais et illustrations.
L’exposition poursuivra sa route à Madrid dès le mois de février 2024, puis au musée national Marc Chagall à Nice, jusqu’en septembre 2024.
Jusqu’au 7 janvier 2024 – La Piscine – Roubaix (59)
En une : Solitude – 1933 – Huile sur toile – 102 x 169 cm – Tel Aviv Museum of Art, don de l’artiste, 1953
Photo : Avraham Hai – © ADAGP, Paris, 2023
