Faisant suite à un appel à projets, trois jeunes talents illustrent “Le dessin dans tous ses états” au 3Cinq, Centre d’Art Contemporain de Lille. Allons à la rencontre de deux jeunes femmes originaires du Sud de la France et d’un tout jeune Namurois toujours étudiant à La Cambre de Bruxelles…
Quittant sa belle ville de Marseille pour étudier au Fresnoy de Tourcoing, studio national des arts contemporains, Lou Le Forban a trouvé en notre territoire une source d’inspiration pour cet univers carnavalesque qui est sien, nourri de peinture flamande et d’esprit breughélien. De Dunkerque aux Pyrénées, la distance est vite parcourue, ambiance joyeusement foutraque, fêtes sans dessus-dessous, personnages iconographiques, contes et légendes sont l’arcane de son travail aussi burlesque que joyeux.
Lou aime quand les rôles s’inversent, les codes s’abolissent. La frontière ténue est alors franchie en une bascule de l’humour excessif au grotesque parfois lugubre voire répugnant, tel ce vin consommé avec excès, trop-plein de saoulerie qui enivre certains et en fait vomir d’autres en un flot de sang carminé. Elle dessine des rondes paysannes, emprunte à Bosch ou Brueghel des saynètes, s’inspire des légendes et figures locales, tels le bruxellois Manneken Pis et son homologue féminin Jeanneke Pis (qui fait pipi assise !), ou “Lou drapé”, jument blanche camarguaise dont la blême croupe s’allonge à l’infini à mesure que les enfants grimpent sur son dos. Car Lou aime particulièrement “le fait de pouvoir parler à des enfants” qui collaborent dans de grands éclats de rire face à ces fluides corporels lâchés de façon débridée, ces lâcher-prises ludiques, et participent à la création de grands cadavres exquis.
Lou fait également la part belle à la broderie, clin d’œil nostalgique aux générations passées, un petit quelque chose de désuet. En imprégnant son tissu de curcuma, elle le rend photosensible et lui confère plus de légèreté ; sa peinture acrylique réhaussée de personnages brodés et de motifs ornementaux évolue ainsi au fil du temps. Qu’on le nomme l’idiot du village, le fou du roi ou le marginal, aussi rusé que maladroit, le trickster, ou joliment nommé “fripon”, accroche notre regard à l’entrée de l’exposition, en tentures monumentales. Pour ses petits dessins, Lou s’intéresse toujours au carnaval, préférant à la foule dans son ensemble, les à-côtés, le hors champs. Les titres de ses œuvres alternent entre poésie et simplicité : “La caresse des graminées sur nos cuisses”, représentation du compagnonnage amoureux, “La danse paysanne” ou “Les algues sœurs”, inspirée d’une petite sculpture russe qui l’avait autrefois marquée, illustrent sa démarche : “parfois j’ai vu une image, elle m’imprègne et par la suite, je la régurgite”.
Autre élève du Fresnoy originaire de Montpellier, Véra Hector, passionnée de cinéma expérimental et d’avant-garde, se nourrit d’images, de films, de projets qui demandent beaucoup de temps, des grands formats, des croquis aussi. Elle pratique le dessin depuis toujours, en fait un objet propice à la construction de plans et de décors. La pratique de l’écriture la pousse à s’intéresser tant à la représentation qu’au personnage lui-même, inextricable rapport de dissolution de la figure et de l’apparition. Les techniques se mélangent dans une cuisine aboutissant à une vraie narration : grain, texture, transfert, pastel, maquillage… Empreinte de surréalisme, Véra évoque en dessins Pierre Clémenti, enfant terrible du cinéma français à la beauté ravageuse et ténébreuse face notamment à Catherine Deneuve dans “Belle de Jour”. Autre source d’inspiration : cette figure masculine romantique et sauvage à la dégaine de loubard, le réalisateur, scénariste et photographe, Guy Gilles.
Pour la réalisation de ses courts-métrages de fiction ou documentaires, elle affectionne particulièrement la caméra super 8 pour sa texture si intéressante, les accidents provoqués. Quoi de plus excitant en effet qu’une vieille caméra paresseuse produisant des images tremblantes et baveuses et dont il faut apprendre à maîtriser les défauts ? Elle s’adonne au montage et démontage, triture les images jusqu’à l’aboutissement de films, et dans ses dessins, les visages apparaissent et disparaissent jusqu’à ne plus exister que par la trace laissée, images du souvenir d’une extrême fragilité.
Pour clôturer cette exposition à 6 mains, le tout jeune Bastien Guillaume, originaire de Namur et encore étudiant à La Cambre, Ecole Nationale Supérieure des arts visuels de Bruxelles, est un grand éclat de vie et de fraîcheur. Claustrophobe et néanmoins passionné de grottes et de spéléologie, il reproduit de ses crayons affûtés ces mondes souterrains qui lui sont chers dans un rapport temporel à l’image, des créations au long cours puisque “le temps est nécessaire à l’image“.
Minéralité et abstraction sont les maîtres-mots de son travail. Les pans verticaux de ses triptyques monumentaux façonnent la roche en une foultitude de traits de crayon aux variations de couleurs et densité changeantes selon notre angle d’approche. Ici l’image s’anime, un dessin rouge suinte sa poussière écarlate sur le sol. Là, traduisant son amour des Musées d’Histoire Naturelle et des traces laissées par nos vies et nos villes, des ossements de céramique accrochés à des patères dorées ponctuent le mur blanc en une installation qui le laisse rêveur et amusé. Humble et passionné, il confie son désir d’apprendre encore, son tâtonnement et son travail de recherche, puzzle de la vie, des villes, du monde souterrain qui boyaute sous nos pieds.
La prochaine exposition de 2024 du Louvre-Lens est faite pour lui, les “Mondes souterrains” y seront à l’honneur, ces mondes qui nourrissent nos imaginaires depuis la nuit des temps et pour de nombreuses générations à venir, preuve en est Bastien Guillaume.
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