“Nos natures étaient différentes, mais nos visions étaient parallèles”. Henri Le Sidaner (1862-1939) et Henri Martin (1860-1943) se rencontrent en 1891, et restent liés toute leur vie malgré leur caractère totalement opposé. L’un avait “mauvais caractère”, quand l’autre passait pour “bienveillant”. Origine modeste pour Henri Martin, qui grandit dans l’atelier d’artisan-ébéniste de son père, tandis que la famille d’Henri Le Sidaner jouissait d’un climat familial propice à la création. Ils ont produit une œuvre riche consensuelle qui a valu à tous deux la reconnaissance de leurs pairs et le soutien du public et de la critique.
Proposée dans le cadre somptueux du Palais Lumière à Evian, sous le commissariat de Brigitte Olivier et William Saadé avec le soutien actif de Yann Farinaux-Le Sidaner (arrière-petit-fils du peintre), l’exposition fait la part belle à la vision partagée d’un monde où la nature est source de réconfort, idéalisée, domestiquée, apaisante.
Des jardins en différentes saisons, et des terrasses où il fait bon s’asseoir autour d’une table accueillante. L’extraordinaire série de quinze toiles de Le Sidaner, dédiée au thème familier des tables, est d’une grande virtuosité. Henri Martin, lui, aimait les vues champêtres avant de se consacrer aux grands décors pour institutions. “Le Travail de la Terre” ou “La Moisson”, composés pour le Conseil d’État, célébraient le travail sur les terres de France, thèmes prisés dans l’après-guerre. “Le Luxembourg”, destiné à l’escalier d’honneur de la mairie du Vème arrondissement de Paris, fut un triomphe.
En dépit des évolutions technologiques et du développement des moyens de transport, les deux artistes ne furent pas de grands voyageurs, sinon quelques voyages d’étude en Flandre et en Italie. La rêverie était leur patrie, le Symbolisme leur patrie d’art. Des vues du Nord de la France, des paysages rêvés plutôt qu’habités, au bord de l’eau, sous la neige. Le Sidaner montre Bruges à contre-jour, endormie et lointaine, et des vues de Venise croquées lors de voyages. Henri Martin se reconnaissait davantage dans les paysages ensoleillés du Sud-Ouest et du Midi.
Restés en marge des avant-gardes et de la modernité incarnée par Degas, Gauguin, Berthe Morisot ou Pissarro, les deux artistes tombèrent un temps dans l’oubli. Leurs toiles symbolistes, en écho à leur goût pour la musique et la poésie, les fit renouer avec un certain succès. On pense à “La Promenade des orphelines” ou à “la belle jeune fille marchant à travers les champs, une fleur à la main”. L’art symboliste absorbe, déforme et dilue subtilement tous les composants traditionnels de l’image artistique. Nature distancée, voilée, énigmatique, où la brutalité de la couleur, souvent, s’est retirée.
La programmation du Palais Lumière se tourne généralement vers la création artistique entre le Second Empire et le début des années 50. Riche époque à voir sans relâche.
Jusqu’au 5 janvier 2024 Palais Lumière – Evian (74)
En Une : Le Soleil dans la maison – 1926 – Huile sur toile – Paris musée d’Orsay en dépôt au Sénat – Paris – Photo Yves Le Sidaner
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