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On en parle

En-deçà de l’invisible 

Chantal Vérin, le 18 octobre 2024

Une exposition duo avec Cécile Beau et Grégoire Scalabre

L’abbaye royale de Maubuisson dans le Val d’Oise, fondée en 1234 par Blanche de Castille, mère de Saint-Louis, conjugue sa riche histoire avec la création artistique actuelle. Le domaine abrite les bâtiments subsistants classés au titre des Monuments historiques, entouré d’un parc arboré de 10 ha. En 2001, après restauration, l’abbaye cistercienne devient centre d’art contemporain, et  propose une programmation transculturelle. Les artistes accueillis en résidence reflètent la diversité de la création contemporaine, installation, vidéo, sculpture, peinture, création sonore, art numérique, et sont choisis pour leur capacité à interroger un espace beaucoup plus complexe que sa seule identité patrimoniale. 

Cécile Beau – Relique – 2023-2024 – ©CDVO Catherine Brossais

Cécile Beau, née en 1978, est une artiste française dont le travail se situe à la croisée des arts plastiques et sonores. Diplômée des Beaux-Arts de Tarbes et de Marseille, et du Fresnoy-Studio national des arts contemporains de Tourcoing, elle enchante les lieux qu’elle investit. Elle se saisit de la nature pour la retranscrire dans des environnements fictionnels en mêlant approche esthétique et scientifique. Dans l’abbaye, dans le demi-jour de la grande salle des religieuses, elle a posé à même le sol d’imposants fragments de troncs d’arbres poncés et lissés, dont la couleur se confond avec la teinte calcaire des murs. Horizontalité de l’installation et verticalité des piliers se complètent, “La Relique de bois”, matériau brut prélevé en milieu naturel, entame par le processus de minéralisation une forme d’élévation. 

Cécile Beau – “Hyphe” – ©Chantal Vérin

Cécile Beau aime aller à la découverte d’autres réalités, d’autres perceptions, d’autres échelles. Elle convoque les découvertes scientifiques comme pour désaxer le regard et l’inviter à voir et ressentir l’univers, à imaginer les connexions entre l’humanité et l’immense substrat invisible. Dans les latrines, les trois “Aphélies” sont des instruments de musique longilignes, monocordes qui jouent une composition à cinq notes, par la magie de dispositifs magnétiques. Ce chant de l’univers fait référence à une théorie du philosophe et mathématicien grec Pythagore, approfondie ensuite par Johannes Kepler. Les “Astres”, une série de disques d’opale laissant filtrer la lumière depuis les niches de la salle, illustrent cette impalpable combinaison de la perception sensorielle et de la raison mathématique. De la réalité terrestre aux spéculations cosmiques, le voyage proposé par Cécile Beau est un pur enchantement.

Grégoire Scalabre – Cygnus – 2021/2022 – ©Anthony Girardi

Grégoire Scalabre, né en 1978, céramiste et sculpteur a été lauréat du prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la Main, qui récompense créativité et innovation dans le domaine des métiers d’art, et a été accueilli en résidence à la Villa Kujoyama au Japon. A Kyoto, cette ville caractérisée par sa tradition artisanale millénaire, il a confronté son expérience de potier à des techniques et des réflexions qui ont parfait la connaissance de son art. Ses minuscules céramiques, noires ou blanches, sont le fruit d’une longue et méthodique élaboration. Une multitude de pièces réalisées une par une, selon des croquis minutieux de grande qualité, réunis dans des carnets, s’assemblent en une surprenante composition.

Grégoire Scalabre – ©Chantal Vérin

Pour “Cygnus” exposé dans le parloir, les miniatures d’amphores en porcelaine émaillée, s’agrègent les unes aux autres, s’enroulent en un motif circulaire, en écho au mouvement rotatif du tour de potier. Chaque pièce façonnée dans son unicité est partie d’un tout plus grand, microcosme et macrocosme confondus. Même principe décliné en céramique blanche dans la “Cité blanche”, tout aussi parfaitement organisée dans son innombrable profusion.

Grégoire Scalabre – Cités – 2023/2024 – ©Abbaye de Maubuisson

“En-deçà de l’invisible”, sous le commissariat de Marie Ménestrier, directrice de l’établissement, est une invitation poétique et sensorielle à penser au-delà du temps et de l’espace, dans un site vibrant de huit siècles d’histoire.

Jusqu’au 23 février 2025
Abbaye de Maubuisson – Saint-Ouen-l’Aumône (95)

En Une : Cécile Beau – “Aphélie” – ©Chantal Vérin