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On en parle

Damien Deroubaix

Chantal Vérin, le 22 octobre 2024

“En un jour si obscur”

Les récents travaux de rénovation sur le site Richelieu de la BnF, rendus nécessaires par les nouveaux usages de la Bibliothèque, et menés dans le respect du patrimoine original, mettent en heureuse lumière la splendeur de ce lieu historique. Au terme d’une promenade du XVIIème au XXIème siècle, le public peut désormais découvrir, trois siècles après son installation, les multiples transformations de la Bibliothèque, qui conjugue aujourd’hui son ancrage historique avec le monde contemporain. 

Dans un espace redessiné pour mieux les découvrir, un vaste archipel d’espaces patrimoniaux inscrits pour la plupart au titre des monuments historiques, comme les galeries Mazarin et Mansart, est réservé aux expositions temporaires.

Albrecht Dürer – 1471-1528 – Némésis, BnF, département des estampes et de la photographie

Pour cette rentrée culturelle, la BnF invite deux grands artistes contemporains, Barthélémy Toguo et Damien Deroubaix, amis de longue date, à se retrouver sur leur parcours respectif et leur pratique de la gravure, dont une belle sélection fait partie des collections de la BnF.

Dans la galerie Mansart, la commissaire Cécile Pochereau-Lesteven, conservatrice en cheffe au département des Estampes et de la photographie, éclaire, sous l’énigmatique “En un jour si obscur“, le processus créatif de Damien Deroubaix.  Né en 1972, et d’abord peintre, l’artiste est l’un des rares à investir dans le même temps gravure et sculpture, disciplines séculaires impliquant une confrontation physique avec les matériaux utilisés. Formes et motifs circulent d’un médium à l’autre dans un complexe jeu de reprises et de variations que l’exposition invite à découvrir selon un parcours de visite rythmé en trois parties, et conçu sous la forme d’un aller-retour.

Damien Deroubaix – Aile – 2021 – Courtesy galerie Nosbaum Reding (Luxembourg) – ©ADAGP, Paris, 2024 – Photo Audrey Jonchères

Dans le sens “aller” les œuvres de Damien Deroubaix, gravures, panneaux de bois gravés, sculptures et peintures cohabitent dans un esprit iconoclaste. Évocations de chapitres tragiques de l’histoire contemporaine, motifs empruntés aux danses macabres médiévales, à l’histoire de l’art et à la scène musicale “métal”, particulièrement vivante à Berlin, où vit l’artiste. Féru de culture ancienne, grand connaisseur de l’art allemand, il engage un dialogue avec l’œuvre gravé des grands maîtres. 

Damien Deroubaix – Das grosse Glück – 2008 – BnF, département des Estampes et de la photographie – ©ADAGP, Paris – 2024 Photo BnF

Das grosse Glück“ (2008) est une magistrale réinterprétation de la Némésis d’Albrecht Dürer. Damien Deroubaix reprend le motif de l’aile au délicat plumage de la déesse de Dürer, s’imprègne des stries verticales d’une averse du “Paysage aux trois arbres“ de Rembrandt, et ajoute quelques références à l’Antiquité et à l’actualité. L’image créée, allégorie probable du Mal, résiste à toute interprétation univoque, ce qui apparaît comme la marque de fabrique de l’artiste.

Les Désastres de la guerre, Les Caprices de Goya, sont source d’inspiration, tout comme le Guernica de Picasso. 25 gravures en taille-douce, “El origen del Mundo“, réhabilitent les motifs emblématiques de la grande peinture universellement connue, tous entremêlés de références aux tragédies de notre temps.

Damien Deroubaix – D’où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous? – 2015 – Coll. particulière – ©ADAGP, Paris, 2024 – Photo Guy Reibmeister

En revenant sur ses pas, le visiteur a le plaisir de voir, au revers des œuvres de Deroubaix, les précieuses gravures “inspirantes” de la Renaissance conservées dans le Cabinet des Estampes de la BnF. Il s’arrête devant la monumentale toile “D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?“, au titre et au format exact de la dernière peinture de Gauguin, et aux motifs évidemment transfigurés… Il reconnaît çà et là les emprunts à Ernst Ludwig Kirchner, Anselm Kiefer, Otto Dix, Francis Bacon, voire à l’Américaine Dana Schutz.

Point de départ et d’arrivée de la déambulation, “Norway in September“ s’inspire d’une part du“Vase aux iris de Vincent van Gogh, aux couleurs vives, et d’autre part de sa transposition en noir et blanc xylogravée “Les Iris“ de Damien Deroubaix.

Damien Deroubaix – Norway in September – 2023 – Courtesy galerie Nosbaum Reding (Luxembourg) – ©ADAGP, Paris – 2024 – Photo Valérie Archeno

Avant de quitter la BnF et ses richesses, un détour par la salle Ovale s’impose. A la fois salle de lecture et lieu de visite, la salle propose plus de 20 000 titres en libre consultation…

Jusqu’au 16 février 2025
BnF, site Richelieu – galerie Mansart – Paris 2ème

En Une : Portrait de Damien Deroubaix – ©Valérie Archeno