Pour l’exposition « Corps in-visibles » présentée au Musée Rodin sous le double commissariat d’Isabelle Collet, conservatrice au Musée Rodin, et de Marine Kisiel, conservatrice au Palais Galliera, une pièce méconnue a été sortie des réserves des collections, « Étude de robe de chambre pourBalzac » , un moulage en plâtre du vêtement fantomatique, prétexte pour dérouler une enquête passionnante sur ce qui fut une véritable affaire à rebondissements qui secoua le monde politique et artistique pendant de longues années.
En 1891, à l’époque de la commande, Auguste Rodin a déjà une belle notoriété. Balzac, disparu 40 ans auparavant en 1850, et considéré comme l’un des maîtres du roman, n’a pas encore de statue à son effigie. Rodin se met au travail méthodiquement, recueille tous les témoignages littéraires décrivant physiquement Balzac, lit et s’imprègne des personnages des romans, et s’intéresse aux photos, « une photo prend un peu de la personne », et aux caricatures, pas toujours flatteuses. Il parcourt la Touraine natale de l‘écrivain, trouve chez un charretier corpulent un modèle inspirant, et idée singulière, se rend chez le tailleur de Balzac, René Pion. Il fait refaire à l’identique un pantalon, un gilet et une redingote de Balzac, s’approchant ainsi de son enveloppe corporelle réelle. Mais comment alors incarner dans le bronze une physionomie peu avantageuse et peu compatible avec les canons plastiques de l’époque ? Quelle représentation choisir pour une adoption acceptable dans l’espace public, réelle, idéalisée, statufiée ? Comment rester fidèle à son idée de la création ? Rodin produira plusieurs versions, toutes refusées par les commanditaires !
L’iconographie de Balzac en robe de moine, mise en scène par le romancier lui-même et immortalisée par le peintre Louis Boulanger, apparaît alors comme une solution. Le vêtement de flanelle blanche que Balzac portait « en guise de robe de chambre » (Théophile Gautier) sert les desseins de Rodin. Cette tenue d’intérieur confortable portée par les hommes en Occident est associée au travail intellectuel. Les « Regrets sur ma vieille robe dechambre. » de Diderot en témoignent !
« L’Étude de robe de chambre pour Balzac » , le moulage dans le plâtre de sa véritable robe de chambre, et les photos d’époque attestant l’opération, aboutissent à la représentation du grand homme drapé dans les amples plis de sa tenue de travail. Solution plastique restituant le mythe de Balzac, à défaut d’en restituer le corps disgracieux. Seule la tête sculptée sur le mode naturaliste donne vie et expression au personnage. Le reste est suggéré.
La sculpture d’un Balzac idéalisé mais difficilement compréhensible au XIXème siècle ne fut jamais montrée du vivant de l’artiste… et n’a pris place que tardivement dans l’espace public.
En fin d’exposition, une œuvre de Thomas J.Prince représentant une femme noire, de taille disproportionnée, négligemment vêtue d’un jogging, invite à la réflexion sur l’évolution des représentations de tous les corps.
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