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On en parle

Rodin-Bourdelle

Chantal Vérin, le 3 mars 2025

« Et après ? »

“Corps à Corps“, l’exposition qui voyage de l’atelier-musée parisien de Bourdelle à la Piscine-musée d’art et d’industrie de Roubaix, confronte, deux maîtres incontestés de la sculpture française, Auguste Rodin (1840-1917) et Antoine Bourdelle (1861-1929), et cela entre forts rapprochements et nécessaires divergences.

Eugène Carrière – Portrait de Rodin

Grâce à l’exhaustivité de leurs archives privées, dont une riche correspondance, l’histoire de la relation entre ces deux géants est largement documentée. Bourdelle admire Rodin, son aîné de vingt ans. Il est son « praticien » : Rodin modèle la sculpture et Bourdelle lui « prête » ses mains pour tailler dans le marbre. Le buste jaillissant d’un bloc irrégulier ponctué de traces d’outils, pierre brute inaccomplie, le fascine. Et Rodin perçoit le talent du jeune sculpteur et le soutient.

Raymond Duchamp-Villon – Athlète – Bronze à la cire perdue – Paris – Centre Pompidou

Ils partagent la passion de l’Antiquité, des œuvres égyptiennes, asiatiques, hindoues, japonaises et perses. Ils admirent leurs contemporains, Jean-Baptiste Carpeaux, Puvis de Chavannes ou leur ami commun, Eugène Carrière. Ils échangent dessins et objets d’art. La mythologie et son cortège de créatures hybrides leur offrent un réservoir d’inépuisables sujets.

Le jeune praticien subit d’abord l’influence tutélaire d’un maître, puis, accaparé par son propre travail créatif, survient l’inévitable rupture symbolisée par la Tête d’Apollon avec sabasecubiste. L’inscription “ Au maître Rodin ces profils rassemblés “, portée sur la base de l’impressionnant buste taillé en hommage au maître, annonce une future évolution vers une synthèse des formes.


Antoine Bourdelle – Apollon tête en terre craquelée – Musée Bourdelle, Paris

Parmi les sujets communs, les grandes figures de l’Adam (1880 et 1889) précèdent la présentation des corps en morceaux, torses, mains, têtes, fragments auxquels Rodin, le premier, confère une pleine légitimité. Le puissant torse sans visage et sans regard concentre présence et énergie vitale. L’antique Torse du Belvédère préfigure le Torse de l’Ombre de 1902, auquel répond le Torse de Pallas de1905,aux formes plus géométrisées. Bien qu’isolées et sans corps,les mains, traduites dans le marbre et le bronze, révèlent tout leur pouvoir suggestif. Le masque facilite le travail sur le visage en permettant de passer rapidement d’une étude à une autre, dans la recherche de l’expression juste. Les expérimentations avec des matériaux nouveaux, comme la pâte de verre ou l’usage de la coloration, deviennent des éléments de base.


Auguste Rodin – L’Homme qui marche – 1899 – Bronze – Paris, Musée Bourdelle

Plus qu’une trajectoire plus ou moins partagée et une inévitable confrontation, l’exposition pose la question de la transmission. Bourdelle, qui ne récuse pas son héritage, a médité la leçon plastique de L’Homme qui marche de Rodin. Il refuse désormais tout naturalisme et préfère la toute-puissance de la matière et de l’expressivité sans pathos. Henri Matisse, Alberto Giacometti et Germaine Richier fréquentent son atelier. Le Serf de Matisse, l’Homme qui marche de Germaine Richier, l’Homme traversant une place de Giacometti, le Torse de Chana Orloff, le Torse d’Éphèbe d’Ossip Zadkinemarquent l’audace créatrice d’une saisissante modernité.

Les convergences visuelles avec leurs aînés procèdent de logiques semblables : restituer l’objet selon l’expérience intérieure. Eugène Dodeigne qui vient de profiter d’une grande rétrospective, fait évoluer sa manière, laissant les formes à peine équarries. A la suite, Penck, Baselitz, Lüpertz et d’autres proposent des formes brutales souvent monumentales.

Antoine Bourdelle – La Danse, Isadora et Niinski – Bas relief pour le Théâtre des Champs-Elysées – 1912 -Bronze – CCO Paris – Musée Bourdelle

A La Piscine, haut-lieu d’art, la sculpture bénéficie d’une reconnaissance particulière. Sous la nef Art Déco, dominée par une rosace solaire, la galerie de sculptures aménagée le long du bassin historique met à l’honneur la statuaire figurative des années 1870-1940. Actuellement des œuvres prêtées par le musée Camille Claudel (en travaux) sont visibles, dont  Aurore et la Petite Châtelaine.

Choc avec la sculpture dite « La Pisseuse », spectaculaire tant par sa taille que par son sujet. Elle trône au centre du bassin, introduisant l’exposition consacrée à l’artiste céramiste Elsa Sahal.

Dans le domaine de la céramique, la Piscine regorge de trésors, de Raoul Dufy à Edouard Pignon, avec un corpus de pièces réalisées à Vallauris par Pablo Picasso, et des créations plus contemporaines.

En Une : Antoine Bourdelle – Herakles archer – Torse – 1909 – CCO Paris Musées – Musée Bourdelle