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On en parle

Art brut iranien

Chantal Vérin, le 18 février 2025

Devenu une catégorie artistique actuelle et plurielle, l’art brut dépasse largement les définitions initiales de Jean Dubuffet, son “inventeur“. Lieu de référence par excellence de toutes les formes d’art des marges, la Halle Saint-Pierre, au pied de la butte Montmartre, nous invite à découvrir l’univers intime d’une vingtaine d’artistes iraniens d’art brut.

Nazanin Tayebeh – Sans titre – 2024 – Feutre sur papier – 50×70 cm

La collection présentée, réunie par les artistes-collectionneurs Morteza et Sarvenaz, est extraordinaire par sa richesse et sa diversité. Elle est d’autant plus percutante qu’elle fait connaître des œuvres issues en grande partie de leur propre culture, et leur vision éclairée porte ce mode d’expression bien au-delà de son ancrage occidental originel.

Haaj Mohammad Harati – Sans titre – 1990 – Gouache sur papier – 31.5×26.5 cm

Sous le commissariat de Martine Lusardy, directrice de la Halle Saint-Pierre, et de Morteza Zahedi, fondateur de la galerie d’art brut iranien Outsider Inn, l’exposition met en lumière des artistes vivant et œuvrant chez eux en Iran, pays où les productions en rupture avec les normes académiques ne sont pas jugées dignes d’intérêt. De ce triste fait, sans être interdits, ces artistes singuliers sont absents du monde officiel de l’art. Ils ont en commun l’enracinement dans une culture trois fois millénaire. Certains d’entre eux transforment en constructions imaginaires des thèmes puisés dans le Schânâmeh, le légendaire Livre des Rois, épopée écrite au XIème siècle qui raconte l’histoire de l’Iran depuis la création du monde jusqu’à la conquête musulmane. Chez Haaj Mohammad Harati, qui dessine à l’encre noir et peint à partir d’illustrations lithographiques, apparaît tout un bestiaire foisonnant de créatures hybrides. D’autres s’inspirent de savoir-faire ancestraux, tissage, travail du cuivre et du bois, mosaïque.

Asbahi Alireza – Sans titre – 2024 – Textile – 81.5×112.5 cm

Alizera Asbahi récupère des tapis persans usagés qui deviennent le support d’inventions audacieuses, et réalise des patchworks inspirés de motifs traditionnels. Amin Bidokhti crée des sculptures en bois aux formes brutales et intemporelles. Mohsen Asgariyan a peint, du sol au plafond, sa maison construite de ses mains. Fatemeh Khanoon Khodabandeh fabrique des poupées à partir de cailloux et de chiffons. Le sort de Farideh est exemplaire : longtemps restée dans l’ombre d’un mari malade qu’elle soutenait dans son œuvre de création, elle a été reconnue tardivement comme artiste à part entière. Arbres magiques, oiseaux et fleurs oniriques se dessinent à quatre mains .

Farnood Esbati – Sans titre – 2024 – Stylo sur papier – 35×25 cm

La plupart des artistes ont des “petits” métiers, ouvrier agricole, tanneur, chauffeur de taxis, vendeur de rue, ferblantier, et pratiquent leur art à des moments perdus, et sur des supports rudimentaires. Certains souffrent de troubles du comportement qui transparaissent dans leurs travaux. 

Dans cette harmonie dissonante et riche de singularités, on chercherait vainement une école iranienne. L’intérêt est ailleurs. Tous ces artistes ont en commun de créer sans savoir qu’ils font de l’art, et leur création est vivifiante. Loin de notre ère occidentale, ces créateurs nous entraînent dans leur voyage individuel, ils fascinent parce qu’ils élargissent notre vision du réel.

Jusqu’au 31 juillet 2025
Halle Saint-Pierre – Paris 18ème

En Une : Mahmood Khan et Farideh – Sans titre – 2020 – Feutre sur papier – 70×100 cm