En 1937, l’exposition de propagande « Entartete Kunst » (art dégénéré), orchestrée à Munich par le régime nazi, avait montré plus de 700 œuvres d’une centaine d’artistes représentants de différents courants de l’art moderne. Point culminant d’une série d’expositions infamantes, mises en place dès 1933 dans les musées et galeries, pour dénoncer les avant-gardes artistiques comme une menace à la « pureté » germanique. Il s’agissait de convaincre les visiteurs du danger que représente toute production artistique qui ne serait pas d’origine et de tendance aryennes. L’attaque vise des artistes allemands ou non, vivants ou passés, Emil Nolde, Marc Chagall, Pablo Picasso, Georg Grosz et même Vincent Van Gogh. Ce sont tous les courants de la modernité, de l’Expressionnisme à l’Abstraction, de Dada à la Nouvelle Objectivité qui se trouvent condamnés en bloc. Plus de 20 000 œuvres sont alors retirées, vendues, détruites, les artistes dénigrés, exclus, persécutés, et les directeurs de musée limogés, les collections réorganisées, les galeries fermées ! En finir avec l’art moderne, production d’«idiots », de « malades mentaux », de « Juifs » et de « bolcheviques ».
Au centre de cette histoire, le terme de « dégénérescence », qui émerge au XIXème siècle dans le domaine de l’histoire naturelle, de l’anthropologie et de la médecine. L’ouvrage de Max Nordau, dont la parution en 1890 joue un rôle crucial dans la popularisation de cette absurde notion, est signalé en tout début de l’exposition « Art dégénéré . Le procès de l’art moderne sous le nazisme » présentée au musée Picasso, la première sur le sujet en France, sous le commissariat de Johan Popelard. Les œuvres saisies dans la remarquable collection du célèbre psychiatre Prinzhorn, créées en milieu asilaire, et de ce fait justifiant une politique eugéniste, illustrent les concepts malsains développés dans l’ouvrage.
Une salle est consacrée au destin tragique d’artistes juifs, Ludwig Meidner, Jankel Adler, Hanns Ludwig Katz, Marc Chagall. Juif et communiste, le peintre et sculpteur Otto Freundlich, l’un des pionniers de l’abstraction, dont on peut admirer la grande gouache pacifiste et antiraciste l’Hommage aux peuples de couleur, 1935, fut dénoncé, déporté et assassiné à Sobibor en 1942. « La Tête » « difforme » de 1912 figurait comme « repoussoir » en couverture du catalogue de 1937.
Toutes les tendances de la modernité sont visées. Tout particulièrement les artistes expressionnistes de « Der Blaue Reiter, de « Die Brücke », ceux du « Bauhaus », cette formidable école avant-gardiste. On cherche en vain les points communs entre la violence chromatique de l’Entrée duChrist à Jérusalem d’Emil Nolde, le Metropolis de Georg Grosz, le terrifiant Masque à gaz d’Otto Dix, l’abstraction de Vassily Kandinsky, La rue à Berlin d’Ernst Ludwig Kirchner ou les Sangliers de Franz Marc, tombé au front en 1916, et l’Italienne de Kokoschka. Ou encore les sculptures en bois d’Ernst Barlach, ses gravures, figures de saint-Thomas, mendiants, chantres, elles aussi confisquées.
Les musées se vident, alors que l’Allemagne, au tournant du siècle, tenait parmi les grandes nations européennes le principal rang en matière d’achat et de diffusion de l’art. Paul Cézanne, Henri Matisse, Georges Braque, Edouard Manet ne jouissaient même pas encore d’une égale reconnaissance dans leur pays. Sur fond d’acharnement et de haine, les dignitaires du régime, dont le Ministre de la Propagande, constituent à leur profit des collections personnelles… Ce trésor artistique avec la célèbre vente aux enchères organisée à Lucerne, où 125 œuvres furent dispersées, permet aussi de renflouer les caisses d’un pays en guerre. Les quatre peintures de Pablo Picasso confisquées à des musées allemands figurent à la vente, dont La famille Soler, sauvée grâce à l’achat par la ville de Liège.
Les visiteurs de l’exposition de 1937, pour certains, adhèrent probablement à cette campagne de diffamation, mais pour d’autres, c’est une occasion unique d’admirer, parfois pour la dernière fois avant leur destruction, les œuvres les plus importantes de l’art du début du XXème siècle. « Il y a beaucoup de visages fermés et on sent aussi beaucoup d’opposition. Les gens ne disent presque rien », rapporte l’artiste plasticienne Hannah Höch, figure majeure du mouvement Dada, après sa visite de l’exposition.
En 1942, au musée de l’Orangerie, une exposition est dédiée à Arno Breker, sculpteur officiel du Reich… En principe l’histoire ne se répète pas.
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