Dix ans d’enseignement de l’histoire de l’art dans une prison considérée comme l’une des plus dures de France, la Centrale de Clairvaux. Certains de mes “étudiants”, qui avaient perpète, sont donc venus dix ans de suite. Cela laisse des traces. On s’est vu vieillir, et, en prison, on vieillit plus vite. Certains ont été transférés, d’autres sont sortis, après X années de détention. Un ou deux sont devenus des amis. En dix ans, j’ai organisé à l’extérieur une exposition dans une MJC.
C’est l’enseignement en milieu carcéral qui m’a le plus apporté et le plus touché. Le plus touché, c’est le plus facile à comprendre. J’entrais et je sortais facilement, quand d’autres, on sait à peu près pourquoi, restaient des années et des années. De la souffrance lourde suintait des murs. J’entrais parfois à reculons, même si l’accueil des personnes détenues était toujours chaleureux. C’est en prison que j’ai eu le sentiment d’apporter quelque chose à mon prochain.
Si quelques-uns venaient pour passer le temps et voir des images, d’autres venaient pour se construire, et pour de la nourriture vitale.
Des anonymes et des grands noms médiatisés, peu importe. Dans les quelques mètres carrés d’une salle dite de cours (il m’est arrivé de mettre des cartons pour occulter la pièce, rapport aux diapositives que je projetais sur un mur), on ne triche pas. Il y avait comme une nudité de l’enseignement. Exigence partagée. Si j’avais joué à l’intello, ces hommes-là, souvent costauds mentalement, seraient retournés dans leur cellule.
Étudiant, j’avais donné des cours par correspondance à des taulards. Puis milité pour l’abolition de la torture et de la peine de mort. Passer à l’acte éducatif m’a paru aller de soi. J’étais curieux de voir du dedans ces lieux que la société des braves gens préfère ignorer. Et voir si l’altérité de la supposée normalité était si différente que cela. Et l’art comme fenêtre sur le monde, le présent et le passé.
Dans le cloaque de la prison, lieu expiatoire sensé aboutir à la réinsertion, formation et enseignement n’ont qu’un droit de visite très restreint. Art, culture, y paraissent aussi inutiles qu’incompréhensibles, à des années-lumière de nos existences. Provoquer l’envie d’autres connaissances, et à une autre façon d’appréhender la vie. Mieux qu’un châtiment et qu’un rachat : une délivrance.
En Une : Peinture d’un artiste anonyme – ©Christian Noorbergen