Héroïne de l’art
Célèbre et admirée de son vivant, Artemisia Gentileschi (1593-vers 1656), figure majeure du Seicento était peu à peu tombée dans les oubliettes de l’histoire. Ses peintures que les puissants de toute l’Europe s’arrachaient, passèrent de mode, les condamnant à dormir dans des palais et villas privées ou dans les réserves des musées. Plus de trois siècles plus tard, en 1991, une première exposition monographique d’envergure lui est enfin dédiée, à la Casa Buonarroti de Florence. En 2019, l’une de ses toiles, consacrée à Lucrèce (vers 1630) est vendue près de 5 millions d’euros !
Née en 1593 à Rome dans une ville hostile à la carrière d’une femme-peintre, orpheline de mère à 12 ans, Artemisia commence dès 1608 à travailler avec son père, le peintre Orazio Gentileschi, à qui elle doit en large partie sa vocation et le style caravagesque de ses toiles. Suzanne et les vieillards (1610), œuvre de jeunesse, se ressent de l’influence paternelle avec en filigrane les prémices d’une identité artistique personnelle.
L’analyse de l’œuvre d’Artemisia est difficilement séparable de celle de son destin, et ne pas relier sa production artistique à des événements qui scandent sa vie limiterait la compréhension d’une production hors du commun. L’histoire du viol par Agostino Tassi et du procès humiliant est trop connue. Avec une empathie rare, elle peint des femmes victorieuses des hommes, vertueuses, héroïques, troublées par l’attention masculine ou bien séductrices sans la moindre pudeur, échappant ouvertement à toutes les conventions du XVIIème siècle ! Son chef-d’œuvre, Judith décapitant Holopherne (vers 1620), a souvent été compris par rapport à son drame intime.
Ses héroïnes bibliques et mythologiques, Suzanne, Lucrèce, Judith, Marie-Madeleine, Cléopâtre, Yaël, sont des femmes, qui, malgré les violences subies, parviennent à reprendre leur destin en main. La ressemblance n’est pas fortuite, mais il convient de replacer l’œuvre dans le contexte historique, social et artistique, pour en comprendre la complexité. Artemisia ne pouvait copier les œuvres les plus célèbres ou dessiner des modèles nus dans les académies privées, elle utilise alors sa propre image à défaut de modèles vivants. Elle n’a besoin que d’un miroir pour s’observer. Elle se représente en terrible vengeresse, ou en musicienne dans Autoportrait en joueuse de luth. Elle est complètement nue(le corps sera postérieurement recouvert d’un voile pudique) dans Allégorie de l’Inclination (1615). Danaé est une version fantasmée d’elle-même, à forte charge érotique.
L’exposition proposée au musée Jacquemart-André, titrée « Artemisia, héroïne de l’art » s’ouvre sur le portait d’Artemisia par Simon Vouet. Les commissaires Pierre Curie, Patrizia Cavazzini et Maria Cristina Terzaghi ont réuni un corpus d’œuvres, mêlant chefs-d’œuvre et peintures peu montrées au public, permettant ainsi d’éclairer les multiples facettes de la carrière d’Artemisia, dont la fructueuse période florentine, et soulignant l’héritage du Caravage.
On suit Artemisia de Rome à Florence et Venise, et à l’étranger. Elle obtient de grands succès au sein de nombreuses cours européennes, de la cour florentine de Cosme de Médicis, qui apprécie le caractère sensuel de ses personnages, à celle de Charles Ier d’Angleterre et de Philippe IV, roi d’Espagne. Les années florentines font d’elle une artiste raffinée, une femme cultivée, capable d’évoluer dans n’importe quel milieu social. Elle fréquente Michelangelo Buonarroti le Jeune, petit-neveu de Michel-Ange et ami de Galilée. Elle a un grand atelier, des assistants, et négocie en vraie femme d’affaires, ce qui est unique à son époque. On lui commande des portraits, où elle excelle dans le rendu des drapés.
Les recherches pointues sur de nombreuses œuvres prouvent qu’Artemisia peint directement, sans recours au dessin, d’où la persistance de nombreux « repentirs » qui contribuent à confirmer l’authenticité de l’œuvre. Elle utilise des calques pour reproduire un visage d’une toile à l’autre. Elle maîtrise parfaitement les cadrages resserrés et les effets de clair-obscur typiques du Caravage, augmentant encore, si possible, la dimension dramatique, comme dans Judith et sa servante avec la tête d’Holopherne (vers 1640), l’un des thèmes iconiques du maître.
En ce XVIIème siècle, Artemisia, « héroïne de l’art » aurait-elle réussi le tour de force pictural d’être encore plus forte que son maître absolu ?
Jusqu’au 3 août 2025
Musée Jacquemart-André – Paris 8ème
En Une : Simon Vouet – Portrait d’Artemisia Gentileschi – Vers 1622-1626 – Huile sur toile – 90×71 cm – Pise, Fondazione Pisa, Palazzo Blu – Crédit Proprietà della Fondazione Pisa Palazzo Blu, Pisa – © Palazzo Blu Ph. Nicola Gronchi
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