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On en parle

Edi Dubien

Chantal Vérin, le 17 décembre 2024

« S’éclairer sans fin »

Le Musée de la Chasse et de la Nature, établi dans deux beaux hôtels particuliers des XVII et XVIIIème siècle dans le Marais, fut la demeure de collectionneurs esthètes. Au-delà de l’histoire de la chasse et de ses représentations, le musée a su, ces dernières années, décaler son propos pour approfondir les rapports de l’homme et de l’animal au cours de l’histoire. Volontiers singulière, la muséographie joue le mélange des genres, dans un dialogue fécond entre les collections riches et variées du musée et les créations contemporaines.

Edi Dubien, artiste français né en 1963, autodidacte, embarque le visiteur dans un monde conciliant où l’humain et la nature sont compatibles. La majorité des œuvres inédites, soit plus de 200 dessins et 16 installations et sculptures, sont des productions réalisées spécialement pour l’exposition, révélatrices d’une personnalité sensible et attachante.

Edi Dubien – « Portrait » – © Chantal Vérin

A l’entrée de la salle d’exposition temporaire, un portrait monumental annonce le sujet. Intitulée Résistant, cette grande toile suggère l’union entre l’humain, la nature et le monde sauvage. Accrochée aux murs couverts d’un papier peint dessiné par l’artiste, un motif végétal ponctué de crânes et de coccinelles, une constellation de dessins d’une perturbante douceur raconte des histoires d’enfance entourée d’une faune protectrice. Au centre de la pièce, dans une barque, un jeune homme verse des larmes bleues qui donnent vie aux animaux qui l’entourent. Edi Dubien nous entraîne dans un voyage métaphorique où apparaît la fragilité de la condition humaine, allusion implicite à son propre parcours de vie. Vulnérabilité de l’enfance cassée et de l’adolescence posant question de l’identité de genre. « Faisons de la fragilité une force, n’ayons pas peur de nos fragilités ». Par son trait de crayon, il témoigne, il « répare », il réconcilie. Les animaux et les plantes donnent vie aux états émotionnels, et la nature devient protectrice.

Edi Dubien – « Résistant » – © Chantal Vérin

Le parcours à travers les étages du musée, cet immense cabinet de curiosités, est émaillé de créations originales. Avec quelques clins d’œil humoristiques, comme le redoutable sanglier affublé d’un tutu rose, ou l’ours blanc dressé de toute sa hauteur qui tient entre ses griffes un bouquet de roses, au cœur desquelles se niche un petit crâne doré. Comme la subsistance d’une menace subtile.

Oudry – Chienne allaitante – Musée de la Chasse et de la Nature

Ailleurs un dessin de grand format réunit les deux animaux totémiques de la forêt, le loup et le cerf, traditionnellement considérés comme ennemis. Ils ne s’affrontent pas, et le trait d’Edi Dubien semble avoir apaisé les rivalités. La chienne allaitante, peinte par Oudry, ou les meutes des chasses de Louis XIV, tout comme le dessin d’Edi Dubien, racontent la permanence du lien affectif entre l’homme et le chien. Deux petites sculptures, deux baisers de céramique entre un être humain et un animal, chevreuil et renard, incarnent une réelle fusion. Des tourterelles, messagères de paix, volètent autour du lustre de cristal. Plus loin, des animaux prennent la pose devant un appareil-photo, ces portraits anthropomorphiques, tout en faisant sourire, invitent à une réflexion sur la norme et les stéréotypes.

Edi Dubien – © Chantal Vérin

Artiste solitaire, introspectif, en apparence perdu en ses rêveries, Edi Dubien intègre les questions inquiétantes de la transition écologique, de l’urbanisation, de la faune et la flore massacrées. L’interrogation chez l’artiste de la frontière entre nature et culture, entre sauvagerie et domestication, entre inné et acquis, est une issue vers d’autres possibles.

En Une : « Traverser le temps » – 2024 – Barque, bois, végétaux, engobe, plâtre, résine, acrylique – © Chantal Vérin