« Carnets intimes » à la BnF
Le Musée Soulages de Rodez et la BnF rendent ensemble un hommage à Geneviève Asse. D’un côté une très grande exposition : « Le bleu prend tout ce qui passe », titre emprunté à un livret publié par l’artiste en 2003, qui réunit environ 70 œuvres, peintures et dessins de 1946 à 2009 dans le lieu dédié à Soulages, son grand contemporain. De l’autre, une fine et intime exposition à la BnF, à Paris.
Les deux artistes, épris d’indépendance vis-à-vis des mouvements artistiques qui dominaient l’époque, se connaissaient et s’appréciaient. Chacun à sa manière, ils ont magnifié l’union de la lumière et de l’espace. Sur le site François Mitterrand de la BnF, la donation, par Silvia Baron Supervielle en 2022, de vingt-cinq carnets réalisés pour la plupart à partir de 1971, rejoint le département des estampes et de la photographie de la BnF, où était déjà conservée la quasi-totalité de l’œuvre gravé.
Née en 1923 à Vannes et décédée à Paris en 2021, la peintre et graveuse Geneviève Asse est connue pour ses grandes toiles monochromes et son utilisation presque exclusive de la couleur bleue, ce « bleu » si singulier qu’il est appelé « bleu Asse ». L’artiste passe sa petite enfance en Bretagne dans une certaine solitude qui l’a rendue observatrice, « émerveillée par les choses les plus simples ». Les livres, la lecture forgent sa passion pour le papier, la gravure, la poésie : « tout ce qui fait parler les beaux livres ». Dans un recueil intitulé « Un été avec Geneviève Asse », sa compagne Silvia Baron Supervielle livre des paroles recueillies et un portrait sensible de l’artiste, avec sa vie, ses engagements, ses goûts artistiques.
Arrivée à Paris, la ville et son offre culturelle enchantent Geneviève Asse : le théâtre, le cinéma, et surtout le Louvre, où elle découvre Chardin. Elle aime aussi les natures mortes, le cubisme, Cézanne et Braque. Étudiante à l’École des Arts Décoratifs, elle commence à peindre des paysages et surtout des natures mortes. Elle fréquente l’atelier rue de la grande Chaumière, sans jamais pour autant s’intégrer totalement, « je fabriquais mon monde, on me laissait tranquille ». Elle rencontre dans le quartier Zadkine, Tal-Coat, Grüber… Othon Friesz est un proche. Dans le même temps, dès 1940, elle s’engage dans le mouvement contre l’occupant, devient conductrice-ambulancière à la Croix-Rouge, et avec ses compagnes au caractère bien trempé, elle part brancarder des blessés, traverse l’Allemagne, et se porte volontaire pour aller chercher les juifs français au camp de Terezin… Puis elle revient à la peinture par des œuvres très sobres, des compositions proches de Chardin et de Giorgio Morandi qui annoncent une abstraction pure, avec des associations d’aplats rectangulaires, en bleu, non monochrome, du bleu clair au bleu profond.
L’exposition des “Carnets“ à la BnF offre l’occasion de faire connaître un aspect plus confidentiel de l’œuvre de Geneviève Asse. Présentés en résonance d’une sélection d’estampes et de livres, les Carnets sont des partitions uniques, espaces de recherches picturales et d’explorations rythmiques et chromatiques. Selon l’inspiration du moment, l’artiste utilise les crayons de couleurs, l’encre de Chine, la sanguine. Si le bleu est la couleur dominante, « un langage », le rouge vif vient parfois surprendre par un trait, « le rouge est là pour allumer le feu ». Non conçus comme des épreuves préparatoires, les Carnets, traités comme de petits livres, constituent une œuvre à part entière. De toute taille, certains pas plus grands qu’un timbre-poste, ils sont couverts de notes et de dessins. Parfois des motifs figuratifs comme des feuilles, des fleurs, des oiseaux sont intégrés. Le plus grand soin est apporté au choix du support, du simple carnet au livre en soufflet jusqu’au cahier de calligraphie chinois, en passant par toute sorte de livrets de fabrication personnelle.
Les carnets ramènent tout naturellement aux livres. Geneviève Asse a beaucoup travaillé avec des poètes. Elle signe avec Silvia Baron Supervielle Les Fenêtres, ouvrage composé de poèmes et de gravures. Elle grave sur des textes de Francis Ponge, d’Yves Bonnefoy. Elle illustre dans un rouge vibrant le recueil de poésie de Borges, les Conjurés. Elle crée douze petites gravures à la pointe sèche pour un texte inédit de Samuel Beckett faisant partie des Têtes Mortes.
Revenue en Bretagne, Geneviève Asse s’installe sur l’Île-aux-Moines, où elle dessine ce que son œil saisit, et « se laisse porter par l’air des bleus qui viennent de la mer ».
Jusqu’au 25 mai 2025
BnF, site François Mitterrand – Paris 13ème
En Une : ©Fina Gomez
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