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On en parle

Jean-Jacques Henner

Chantal Vérin, le 2 décembre 2024

Elles

Le Musée national Jean-Jacques Henner occupe dans le bel Ouest parisien un hôtel particulier emblématique des demeures d’artistes, à l’instar de la maison-atelier de Gustave Moreau, devenu également musée. Outre l’importante donation en 1923 par la famille de Jean-Jacques Henner (1829-1905), la collection a bénéficié de dons, de legs et de dépôts du Louvre et du musée d’Orsay qui viennent s’ajouter aux œuvres de l’artiste et constituent un fonds de quelque 2000 pièces.

Alsacien de naissance et Français par choix, Jean-Jacques Henner a peint quelques paysages idéalisés de son Alsace, des vues saisies lors de séjours en Italie, et de grands décors. Portraitiste talentueux et recherché, il livre des portraits de sa nombreuse famille et de personnalités de l’époque. 

Autoportrait des offices – Réplique vers 1877 – Huile sur toile – Paris – Musée national Jean Jacques Henner

L’Autoportrait montre un homme affable, notable, autosatisfait. Élu à l’Institut, il envoie aux Salons et Expositions universelles des tableaux aux sujets historiques et religieux. Sa peinture est présentée au musée du Luxembourg, alors consacré aux artistes vivants. 

A l’occasion du centenaire de l’ouverture du musée, l’exposition “Elles, les élèves de Jean-Jacques Henner“ se penche sur un aspect moins connu de l’activité de l’artiste : son rôle d’enseignant dans des ateliers d’art privés ouverts aux femmes. Le travail d’enquête, mené par la directrice et commissaire Maëva Abillard à travers archives, journaux, carnets et dessins, éclaire sur l’implication constante de Jean-Jacques Henner et de son ami Carolus-Duran pour faire accéder les femmes à une véritable formation artistique et les faire reconnaître comme artistes. Finie la parenthèse enchantée du XVIIIème siècle, où les femmes-peintres ne font pas figure d’exception dans le milieu parisien des beaux-arts… À son époque, les femmes n’ont pas vocation à une vie libérée des schémas paternalistes. Elles ne sont pas bienvenues dans les ateliers où l’on peint des corps d’hommes nus, et restent à la porte des institutions officielles jusqu’au début du XXème siècle. De  là, la nécessité de trouver des lieux alternatifs.

Louise Abbema – Portrait de Jeanne Samary – 1857-1890 – Sociétaire de la comédie française – Vers 1879 – Huile sur toile – Paris – Musée Carnavalet

La galerie de portraits et d’autoportraits permet de faire connaissance avec ces nombreuses jeunes femmes françaises et étrangères de statut social et matrimonial différents. Des centaines de noms apparaissent dans les archives ! Marie Cayron-Vasselon a croqué ses camarades, et ses carnets de dessin (numérisés) donnent vie aux élèves de “l’atelier des dames”. Laura Ledoux et Marie Cayron-Vasselon sont présentes au Salon des artistes français. La Suissesse Ottilie W. Roedersheim, après un solide apprentissage en Allemagne et en France, devient brillante portraitiste et professeure recherchée. Juana Romani, modèle devenue artiste, a une carrière internationale, et Louise Abbema a portraituré Sarah Bernhardt….

Jean-Jacques Henner – Portrait de Madeleine Smith au corsage rouge – 1892-1902 – Huile sur toile

Moyennant un coût d’entrée élevé, et en dépit de conditions de vie précaires pour les moins fortunées, elles accèdent à une formation exigeante avec conseils personnalisés de leurs maîtres, et deviennent de véritables artistes. 

Germaine Dawis – Nymphe – La fleur – 1906 – Huile sur toile – Mulhouse – Musée des Beaux-Arts

Sur un plan de Paris affiché dans le jardin d’hiver sont répertoriés les autres lieux d’apprentissage existant dans la capitale ouverts aux femmes : l’Académie Julian et sa célèbre élève Marie Bashkirtseff, et les écoles municipales gratuites, dont celle dirigée par Rosa Bonheur. Ces lieux sont le symbole de l’émancipation de femmes déterminées à ”faire de l’art”, et pas seulement de la tapisserie et des aquarelles. L’Union des femmes-peintres et sculpteures marque de son côté la naissance d’une identité artistique collective féminine, déjouant les a priori d’un système toujours patriarcal. “L’intrusion sérieuse de la femme dans l’art serait un désastre sans remède”, écrit minablement Gustave Moreau, à l’opposé de l’attitude progressiste de Jean-Jacques Henner.

Véritable ouvrage scientifique, un catalogue documente le sujet et invite le lecteur à découvrir le parcours artistique de près d’une centaine d’élèves.

Jusqu’au 28 avril 2025
Musée Jean-Jacques Henner – Paris 17ème

En Une : Louise Abbema – Autoportrait – Deuxième moitié du XIXe siècle – Huile sur toile – Musée intercommunal d’Étampes