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On en parle

Jephan de Villiers

Christian Noorbergen, le 1 juillet 2024

Ou les confins habités de l’intimité

Le beau et riche Musée d’Art Brut de Montpellier, sous la houlette éclairée de Patrick Michel, expose le sculpteur Jephan de Villiers. Les entités créées par l’artiste ont traversé les pauvretés de la modernité. Elles font foule, elles avancent et se moquent des surfaces. Elles ne vivent qu’au-dedans. Elles s’ouvrent aux confins d’une enfance immaculée, celle du regard qui toujours s’émerveille.

Au travers du temps les arches du silence IV

Certains artistes outrepassent les frontières mentales, retrouvent les mânes de Lascaux, inventent des créatures nées de l’humus et des vieux terroirs, et les fantasmes d’altérité prennent l’imaginaire pour demeure. Jephan de Villiers est de ceux-là. Il rêve à vie haute et creuse à mains nues des souterrains perdus dans les sous-bois désertés du monde. Il ouvre un espace d’humaine présence, créant une autre humanité. Il sacrifie le sol, marqué comme une peau. Il incante l’étendue. L’horizon n’existe qu’à ses pieds, et dans sa marche sans fin inventive. Par les feuilles, les racines, les glands et les écorces, il invente un prodigieux alphabet, chamanique et magique. La terre n’est plus qu’un sanctuaire où l’homme, en lui, au profond, peut vivre plus loin.

Egarées du bord du monde

Sous les veines des arbres au passé d’outre mémoire, par la paume éclatée de notre écorce, par les ailes cachées de sa nuit, Jephan de Villiers façonne des rêves inouïs de vivante matière. Avec des outils de lune, l’implacable regard du papillon, et ses mains d’archaïque et mouvante nature. Ses talismans sont habités. Art d’appel et de pouvoir, où l’œil ose épouser ces évidences vitales, pour avoir l’âge de la terre.

Comme il sait venir à bout des pauvres miroirs de l’individualité, Jephan de Villiers réveille la magique puissance des arts d’origine. Ils lui servent d’assise, et de grand véhicule. Les arts premiers, ses voix d’ancêtres et d’arrière-langage, agissent en lui comme une formidable chirurgie d’âme.

Figures ailées se reposant sur le dos d’un ours après avoir traversé le ciel

Extraordinaire présence de ces minuscules personnages sidérés et sidérants. Ces pèlerins-là sont d’effarants immobiles, fixés dans la plus secrète des obsessions de vie profonde, intemporelle et comme ritualisée. Ils vivent dans des boîtes à trésors d’âme qui les révèlent et qui les protègent.

Jephan de Villiers le sylvestre est l’explorateur d’une proximité inconnue, un grand “élémentaire“. Plus que tout autre, il accomplit la mise à nu des excès de l’art, et de tous les débordements fabriqués du mental. Il se moque des cultures fatiguées qui s’efforcent en vain de cacher l’irrespirable fragilité de la vie, et son impensable poids. La raison seule n’étreint pas l’univers.

Vers le haut et loin à l’heure ou la lumière mène les envols

Fabuleux animiste contemporain, Jephan de Villiers est sorti de l’antre. Les subtiles silhouettes de son bestiaire totémique exorcisent à vif l’énigme d’exister, et sa création embrasse les secrets de l’intimité.

Il n’illustre aucun sacré préexistant, et par lui, la terre parle une langue oubliée des hommes.

Jusqu’au 31 août 2024
Musée d’Art Brut – Montpellier (34)