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On en parle

Julie Manet

Chantal Vérin, le 3 février 2025

Liberté de création au féminin

« Julie Manet et ses cousines », l’exposition proposée dans le cadre de l’ancien couvent des Franciscaines à Deauville, repensé en centre d’art, retrace le parcours insolite de trois femmes artistes peu connues qui occupent une place originale dans l’histoire de l’art. « Les petites Manet », comme les appelait affectueusement Auguste Renoir : Julie Manet (1878-1966) et ses cousines Paule (1867-1946) et Jeannie Gobillard (1877-1970) ont une trajectoire qui ne pouvait qu’intéresser Dominique d’Arnoult, commissaire de l’exposition. En cette fin du XIXème siècle, les trois jeunes femmes se distinguent par leur originalité et leur talent, proches de l’esprit du Siècle des Lumières, quand les femmes artistes ne faisaient pas figure d’exception.

Paule GOBILLARD – Madame Valery et son fils Claude – Vers 1910 – Huile sur toile – Don Claude et Francois Valery et Agathe Rouart Valery en 1978 – Paris Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris – Petit Palais

Ces trois cousines, nées en ce siècle peu émancipateur, jouissent d’une liberté rare pour leur époque. Elles bénéficient d’un entourage extraordinaire, voyagent avec Berthe Morisot, dînent chez Degas, rejoignent Renoir en vacances, ou séjournent auprès de Mallarmé. Des photographies d’époque, des miniatures, des portraits et des tableaux retrouvés dans la demeure familiale de Vassé, dans le Maine, témoignent d’une certaine aisance matérielle et culturelle.

 De 1893 à 1899, Julie Manet, nièce d’Edouard Manet, fille d’Eugène Manet et de Berthe Morisot, tient un Journal qui sert de fil conducteur à l’exposition. Ce journal est une fenêtre sur la vie quotidienne et les préoccupations de la jeune fille, et un précieux témoignage sur les fréquentations littéraires et artistiques de la famille. Une chronique décrivant sa relation privilégiée avec sa mère, Berthe Morisot. Audacieuse artiste, cette dernière n’a pas fréquenté d’école d’art officielle alors fermée aux femmes, et revendique son identité en signant son œuvre de son propre nom. Sa disparition marquera un tournant décisif dans la vie de sa fille. Dès lors, Julie aspire à prouver son talent sous la critique bienveillante de Renoir et à s’affirmer sur le modèle de Marie Bashkirtseff, féministe avant l’heure, dont elle connaît les écrits et l’œuvre. Influences encore de Camille Claudel, de Rosa Bonheur et de toute une génération d’artistes femmes avides de liberté et d’émancipation.

Edouard MANET – Stéphane Mallarme – 1876 – Huile sur toile – Achat avec le concours de la Sociéte des Amis du Louvre et de D.David-Weill – 1928 – Paris Musée d’Orsay – ©Musée d’Orsay – Dist RMN Grand Palais Patrice Schmidt

Selon les dernières volontés de sa mère, Julie partage avec ses cousines, elles-aussi orphelines, un appartement indépendant. Paule Gobillard suit un cours de dessin pour jeunes femmes, copie les maîtres du Louvre, et, restée célibataire, se consacre pleinement à la peinture. Elle expose au Salon des Indépendants et au Salon d’Automne et fait partie du groupe Femmes Artistes Modernes (FAM). Jeannie, sa sœur, est musicienne, chante, joue du piano. Elle épouse Paul Valéry qui ne fera pas obstacle à sa carrière artistique. Son journal « Eureka », découvert tardivement et publié en 2021, témoigne de véritables qualités d’écriture à partir de notes éparses, reprises ensuite avec un léger décalage dans le temps, permettant un recul nécessaire à l’analyse et l’introspection.

Berthe MORISOT – Portrait de Julie Manet – Au chapeau liberty – 1894 – Huile sur toile – Collection particulière – ©Jean-Yves Lacote

Trois portraits de Julie Manet ponctuent l’exposition. Julie « au chapeau liberty » par Berthe Morisot, esquissé avec légèreté, montre une adolescente heureuse, « Julie » peinte par Auguste Renoir en jeune femme élégante, et un portrait en clair-obscur réalisé par son mari, le peintre Ernest Rouart, saisissant Julie absorbée par l’écriture de son journal.

Auguste RENOIR – Pont sur une rivière – Entre 1841 et 1919 – Huile sur toile – Paris Musée d’Orsay – ©Musée d’Orsay – Dist RMN Grand Palais Patrice Schmidt

Une centaine d’œuvres, issues notamment des collections du musée d’Orsay et du musée Marmottan, ainsi que des photos et des écrits illustrent le parcours original du trio, parfois éclipsé par la notoriété de leurs illustres protecteurs et amis. Très diversifié, l’ensemble rend compte de l’existence particulière de Julie, Jeannie et Paule, toutes nourries d’un grand héritage artistique, en mettant en évidence la personnalité, le dynamisme et le savoir-faire de chacune. Hommage aux femmes artistes d’un siècle où les créatrices sont trop souvent restées dans l’ombre.

Jusqu’au 11 mai 2025
« La liberté de créer au féminin »
Les Franciscaines – Deauville (14)

En Une : Auguste RENOIR – Portrait de Julie Manet – 1899 – Huile sur toile – Collection particulière ©Jean-Yves Lacote