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On en parle

Koshiro Otsuka, quand l’encre tisse des liens

Gersende Petoux, le 27 juin 2024

Alors que l’été s’annonce enfin, Nadia Anemiche présente son exposition de la saison, les calligraphies de Koshiro Otsuka. En 2015, la galeriste rencontrait le maître japonais à Mons, alors capitale européenne de la culture. Touchée par la grâce de ses œuvres autant que par ses mots, elle nous offre aujourd’hui une trentaine de grands formats. Mais pas que ! Son amour pour la culture japonaise l’a également conduite à recevoir Koshiro dans son lieu de vie et d’exposition, la Naïshin Gallery, donnant lieu à de superbes prestations en encre et en pinceau lors du week-end de la fête de la musique. Une rencontre exceptionnelle avec celui qui clame :  “La calligraphie m’a sauvé la vie“.

Outils de calligraphie – ©photo Gersende Petoux

Art majeur du Japon, la calligraphie est la subtile alliance entre la légèreté du geste et la précision du trait tracé par l’artiste du bout de son pinceau. Par-delà la simple représentation d’un caractère, elle est vecteur d’émotions, porteuse de messages, empreinte de sagesse et d’universalité. “Les Kanji sont les seuls hiéroglyphes encore utilisés dans la vie quotidienne. Ils sont l’aboutissement de milliers d’années de sagesse humaine et derrière eux se cache une vision commune à toute l’humanité, explique Koshiro Otsuka. Point de retouche, chaque ligne est unique, réalisée à main levée avec force de concentration, respiration, méditation. Quel que soit son tracé, elle nous invite à interpréter la signification du Kanji par le ressenti qu’elle suscite. Ainsi pour l’ange, les lignes sont-elles aussi légères que des plumes. 

Le trait laisse aussi transparaître la personnalité de l’artiste, ainsi que la rigueur de son travail et les heures dévolues à exercer son art, des années durant de pratique et d’apprentissage. La calligraphie n’est pas qu’histoire d’idéogrammes élégants courant à la surface du papier. A l’instar de la cérémonie du thé, elle implique un véritable rituel et répond à des standards bien précis : le choix du papier, sa couleur, sa densité, son absorption, mais aussi le montage du support, qu’il soit en accordéon, en rouleau, autant de critères et caractéristiques. Les outils utilisés sont tous issus de matériaux naturels, en conséquence dit le maître, “la même chose qui se produit dans la nature se produit sur le papier“.

Calligraphie sur rouleau – ©Photo Gersende Petoux

Fabriquée à partir de matières naturelles, suie et colle obtenues en brûlant de l’huile végétale, la fameuse encre de la calligraphie japonaise se nomme Sumi. “Les changements de nuances représentent le passage du temps, plus l’encre vieillit, plus sa couleur devient vive ! Il n’est pas question d’une encre noire mais d’une véritable palette des noirs qui la composent et dont il existe une infinité de nuances. La marque estampillant celle de l’artiste répond au doux nom de “Holding the cloud”, je pense à Michel-Ange et sa voûte céleste… Elle imprègne la surface du papier à la manière d’une vague venue mourir sur le sable. Lentement absorbée, elle auréole ainsi les caractères d’un nuage dilué. 

Derrière chaque Kanji, une histoire, une pensée, un paysage… “La calligraphie japonaise est une tentative de reproduire la nature. Fleur de cerisier, blé, ciel azuré, kaki (le seul mot dont la prononciation est identique en français et en japonais !), autant de sujets d’inspiration pour celui qui aime contempler, rêver, représenter. Koshiro se régale de la lumière en France qu’il trouve somptueuse et où “même les ombres ont de la couleur. La vie est nature, la nature est vie, les Kanji sont autant d’invitations à les contempler comme nous le ferions d’un paysage, propices à l’introspection, la méditation, à ralentir et prendre le temps de vivre : “chaque jour, chaque saison, notre vie entière représentent une seule étape à la fois”.  Tel un ciel changeant, la vie n’étant pas linéaire réserve toujours des surprises : “même si nos journées peuvent sembler monotones, il y a, jour après jour, de la lumière et de l’ombre”

Vue de l’exposition – ©Photo Gersende Petoux

Exposé à la Naïshin Gallery, l’artiste ne pouvait omettre de retranscrire l’idéogramme éponyme du lieu, traduit par “For Intérieur”. “Il y a deux univers“, dit-il. “L’un est à l’extérieur de la terre et l’autre à l’intérieur de notre corps. Nous avons chacun notre propre univers. Je pense qu’il vaut mieux avoir un cœur intérieur vide pour pouvoir y englober beaucoup de choses“. Dépouillé de connaissances et de certitude, le visiteur venu découvrir cette merveilleuse exposition est indéniablement ressorti riche d’émotions et de partages. “L’art est ce qui nous rassemble”, dit Koshiro à chaque œuvre réalisée chez son hôte à la requête des uns et des autres. Doté d’un implacable sens de l’humour mais aussi d’une fraîcheur enthousiaste, il ajoute : “Heureux d’avoir fait cela ensemble, seul je n’aurais pas eu l’inspiration. En 35 ans de calligraphie, c’est la première fois que je vois cette œuvre !”. 

L’éventail sur un bouquet d’hortensias

A l’heure de votre lecture, le maître calligraphe est reparti au pays du soleil levant et de la lumière diffuse. Sa venue en France et son exposition à la Naïshin Gallery illustrent merveilleusement l’idéogramme ITO. D’après une légende asiatique bien connue, un “fil rouge du destin” invisible relie chaque individu dès la naissance à un autre et pour Koshiro, ce tout premier solo show résonne comme une marque du destin sur le fil de son existence…

Jusqu’au 6 juillet les vendredis et samedis et jusqu’au 31 juillet 2024
Sur rendez-vous auprès de la galerie – Naïshin Gallery – Lille (59)