Le sculpteur contemporain n’a sans doute plus de limite… Mais sans limite, il n’y a plus de forme, et sans forme, il n’y a plus de beauté. Intégrer hier et demain, la matière et la main, le chaos et l’ordre, revient à s’imprégner d’une impossible synthèse, “à épouser le hasard qui révèle l’inconnu“ ( Georges Jeanclos ). Liste infinie ou presque, de Jean Anguera à Nicolas Alquin, de Robert Schad au très minéral François Weil.
Inventer une synthèse personnelle revient à embrasser tous les éléments convoqués, en général épars, voire étranges, étrangers et lointains, pour enfin créer un langage unique, un style fort, et une œuvre à nulle autre pareille, quasi ultime, en route vers un autre univers possible. “ La sculpture n’est là que pour permettre l’accès, comme un seuil. On est entre haut et bas, entre terre et ciel. On cherche à franchir“ ( Jean Anguera ).
Raclée par le temps, arrachée au dedans, et densifiée d’extrême exigence, l’œuvre est accomplie, contemporaine et sans âge. Elle est d’ici et d’ailleurs, incarnant “la permanence de l’humanité, ses empreintes successives et inaltérables, comme autant d’arrêts de l’esprit dans la matière“ ( Yukichi Inoué ).
Chez quelques-uns, des figures allongées gardent contact fusionnel avec le sol, la sculpture peut être semblance d’œuf originel, amande première, ou gangue d’origine qui s’ouvrant à peine au monde des civilisés.
Chez d’autres, l’énergie érectile s’avance vers les hauteurs et partent à l’assaut des étoiles, quand des allures verticales, chargées d’élan, se dégagent de la pesanteur terrestre, et font territoire avec le ciel. Ainsi Yann-Eric Eichenberger.
L’œuvre accomplie n’apprécie guère la poudre de l’hyper contemporain. Elle fait remède salutaire aux miroirs de la fragile modernité. Elle ne craint ni le rustique, dur respect du décanté, ni le primitif, qui fait passerelle aux forces vives de l’univers comme aux sources animistes du mental humain. “ Je garde de la terre ce qu’elle dit d’elle-même“ ( Jean Anguera ).
Celui-là, François Weil, respecte les cassures de la pierre, et se joue en virtuose modeste, avec un immense respect, des forces de l’apparente pesanteur, quand tel autre (Rückriehm) ajoute des fentes à la matière. Cette fente permet à la matière de prendre vie et de respirer, et l’espace extérieur ainsi sollicité, envahit l’œuvre, et participe d’elle, quand une sculpture classique s’enclôt parfois sur elle-même. Le sculpteur contemporain troue la sculpture pour absorber l’extériorité.
D’autres sculpteurs laissent le bloc avec simplement ici où là quelques percées. Ainsi la pierre austère sécrète, via le sculpteur, sa propre sacralité brute. Proximité de Denis Monfleur.
Au cœur de ces îles d’art qui distraient le désert, l’accompli invente sa vraie langue native, et la terre parle une langue oubliée des hommes.
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