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On en parle

L’art est dans la nature

Gersende Petoux, le 31 octobre 2024

Émotions paysagères

Hasard d’une rencontre, celle d’avec ces perles de méduse gélifiée, posées sur le sable, enfilées sur un ras de cou d’algues. Aux confins de l’estuaire de la Canche, là où le fleuve côtier divise les territoires et se jette dans la Manche, les plages se font miroirs d’eau. Ce paysage bordé de dunes protectrices en a inspiré bien d’autres avant moi, en témoigne l’exposition dédiée aux “Femmes Artistes de la Côte d’Opale” toujours à voir à la Maison départementale du port d’Etaples. Haut-lieu de la pêche, cette petite ville séduisit aussi un certain Victor Hugo, écrivant à Adèle :  “Etaples n’est qu’un village, mais un village comme je les cherche”.

Perles de méduse gélifiée – ©Photo Gersende Petoux

Rainer Maria Rilke disait fort à propos que la respiration est le berceau de notre rythme. Plus que jamais d’actualité en ce siècle où il est bon ton de décélérer, les invitations à écouter son corps, ses émotions, trouver le bon tempo ne sont pas en reste. Hâte-toi lentement… Profession de Foi d’une société qui oscille entre l’éloge du “toujours plus vite” et celui du freinage. Alors oui, ralentissez à fond, au risque d’enfreindre le code de la route de la vie et de prendre une amende pour excès de lenteur ! 

Coque de noix – ©Photo Gersende Petoux

Rude est l’existence, quand les coups bas récurrents réveillent les cicatrices transformées en nouvelles plaies béantes, faisant des bleus (voire des rouges) à l’âme… Quiconque, capable de communion intense avec la nature et résolu à se laisser bousculer par le déchaînement des éléments, se doit de renoncer à lutter quand tout s’affole, d’un vent fou à une mer en furie… Le corps vaincu finit par ployer, contraignant l’esprit à un véritable remue-méninges, un lavage de cerveau régénérant tant le physique que le psychique et l’émotionnel. 

Vestiges de l’été – ©Photo Gersende Petoux

Vient alors l’apaisement. Les vagues mourantes lèchent la pointe de nos chaussures. Des mini geysers glougloutent sur le sable mouillé, les bécasseaux Sanderling sautillent gaiement au rythme d’une symphonie muette. Un bateau coque de noix impose sa masse sombre à l’horizon du décor, planté sur les flots d’une apparente immobilité. La plage à l’automne naissant est une invitation à la mélancolie, quand le faste des turpitudes estivales a plié bagages, vestiges de vacances déjà presque oubliées… 

Abandonnés – ©Photo Gersende Petoux

Je pense à “Vivantes !“, cette exposition au titre explicite actuellement au Colysée de Lambersart accueillant un projet de l’Institut pour la photographie.  Clichés des 8 lauréats de la Grande commande photojournalisme, ces portraits kaléidoscopiques des femmes dans la France d’aujourd’hui naviguent de l’intime au professionnel, sans oublier le social et sociétal. Pour n’en citer que certaines, Les eaux-fortes, projet de Julie Bourges sur les femmes marins-pêcheurs, ou Femmes d’ailleurs, d’Aimée Thirion qui traite de l’exil au féminin…

Laisse de mer – ©Photo Gersende Petoux

Exil… Vivre ailleurs, quitter sa patrie en un choix, délibéré ou subi. S’impose ici cette image de la laisse de mer, ces débris venus s’accumonceler sur le sable détrempé. Aux grappes de raisins automnales de varechs et autres algues glissantes, s’ajoutent tests d’oursins, os de seiche, couteaux, coques et coquillages que pulvérisent nos semelles en un doux crépitement, mais aussi plumes d’oiseau cristallisées de quartz, à demi enfouies, ou empreintes, traces de nos passages, que nous soyons oiseaux, chiens, chevaux ou humains. 

Laisse de mer – ©Photo Gersende Petoux

Puis vient cette palette régurgitée par les flots, radeau de la méduse naviguant entre terre et mer. Un confit d’algues est venu l’engluer ou plutôt la couvrir d’un glacis inimitable laissé par une mer qui hésite à jamais entre monter et s’enfuir. Faire la manche, dit-on, ou plutôt la Manche… Parfois des forces dites de l’ordre se joignent aux mouettes et promeneurs sur ces plages tentatrices promettant un Eldorado fantomatique. Les quelques kilomètres qui nous séparent des côtes anglaises peuvent s’avérer bien meurtriers et l’estuaire à l’avant-goût de bout du monde devient alors une porte de sortie maritime à l’issue fatale. Ceci nous mène à la nouvelle exposition du Louvre-Lens intitulée Exils, qui interroge les liens entre création et sentiment(s) d’exil dans une traversée du temps et des espaces, faisant aussi la part belle à la création contemporaine, à découvrir tout bientôt… 

Radeau de la méduse – ©Photo Gersende Petoux

Pour l’heure je m’interroge encore sur cette nécessité intérieure de marcher. Autant… Contrer l’hébétude de certains traumas sans doute, un vagabondage physique mais surtout de l’esprit. La mer s’est décidée à nous rejoindre, une vague téméraire remplit le sillon laissé par un véhicule trop lourd et en efface les traces, comme elle le faisait il y a peu des douves de châteaux de sable, ces mandalas éphémères florissant aux beaux jours. Il est temps alors de tout reconstruire, tout réécrire…

En Une : Plage désertée – ©Photo Gersende Petoux