L’art et la nature fusionnent. Ils s’accompagnent et n’ont pas de limite. L’homme de la préhistoire peignait à même la nature, dessinant dans le ventre de la terre-mère les animaux-dieux qui hantent son imaginaire. Chez les Grecs, l’artiste imite le processus de création de la nature, il crée donc des nuages, des montagnes, des arbres et des humains. Au Moyen-Âge, l’artiste peint ce qui est digne d’être peint. Chez les Romantiques, le paysage est fabuleux miroir d’intériorité, réservoir inépuisable d’inspiration. La nature est donc le grand socle de création de l’art de tous les temps, et fait remède inépuisable aux faiblesses de la modernité. Fragilisée, attaquée de toute part, elle est aujourd’hui un lieu ouvert, fragile et absolu de création.
Le Fonds culturel de l’Ermitage est en première ligne pour défendre notre indispensable nature. L’humain retrouve alors des pulsions archaïques trop souvent oubliées par les temps présents.
Oubli des lieux installés, fabriqués, assurés, rassurants, froids, branchés, et trop ou trop peu fréquentés… Que l’Ermitage, lieu de culture, d’âme et de vie, mérite à Garches une grande visite, le choc véritable va plus loin. L’Ermitage est plus encore qu’un haut lieu d’art. L’art le plus ouvert, le plus fort et le plus troublant a trouvé sa demeure par la puissance d’un habitat inspiré et d’une volonté incarnée. Ceux qu’on appelle par commodité des artistes le sont ici dans leur vérité nue et dans leur profondeur vécue.
L’Ermitage est un archipel unique constitué d’îles graves et sublimes. Ce que la vie ordinaire cache obstinément, ce que la vie médiatisée est incapable d’affronter, éclate en ce lieu prodigieux. La vie, la nature, la beauté, existent enfin réunies au grand jour. Ici les œuvres d’art, sur des murs habités, sont montrées à vif plutôt qu’exposées, éblouissantes taches d’âme qui distraient les déserts du temps. Elles occupent un espace d’une incroyable densité, tant l’Ermitage est à leur hauteur, il ne les écrase pas du poids de sa grandeur et de son passé. L’Ermitage accompagne…
Toujours de haute présence, chaque œuvre présentée, qu’elle soit de David Daoud, de Michel Kirch, de Claude Mollard, de Jérôme Délépine, d’Esther Ségal, de Misha Sydorenko, ou encore de Francisco Sepulveda, est lourde du poids immense de sa singularité fouillée jusqu’à l’os. Qu’on ne s’attende pas, dans cet art anthropocène majeur, à une confortable visite d’agrément, ou à une consommation culturelle attendue. On ne peut “faire” la visite de l’Ermitage, car elle peut créer la peur d’être soi, ou de déranger. On n’est pas loin de l’épreuve initiatique des secousses sismiques du regard intérieur, ou du parcours brûlant des troubles du dedans. Et la toute proche nature, au cœur d’un monde trop urbain, autorise un lâcher-prise heureux et peut-être nostalgique.
Ce lieu magique réel et irréel d’indispensable vérité piège les attentes de l’art des surfaces, ses attendus confortables, et ses provocations fabriquées. L’Art anthropocène est ici à jamais omniprésent, et Martine Boulart incarne avec bonheur la féérie vécue de cette demeure intemporelle.
Fond culturel de l’Ermitage – Garches (92)
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