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On en parle

Rodin/Bourdelle

Chantal Vérin, le 24 janvier 2025

« Corps à Corps »

Antoine Bourdelle (1861-1929) admira son aîné Auguste Rodin (1840-1917). Rodin, qui perçut très vite son talent, soutint Bourdelle qui fut son artisan, chargé de la taille des plâtres, en amont du travail du maître. 

A travers plus de 160 œuvres, dont 96 sculptures, dessins, peintures et photographies, l’exposition « Corps à Corps », d’une ampleur inédite, retrace la trajectoire de ces deux artistes, liés par une amitié attestée par une nombreuse correspondance et une admiration réciproque. Leur carrière et leur vie furent étroitement entremêlées. 

Femme tel un vase, vers 1900 – Auguste Rodin – Donation Rodin 1916

L’atelier dans lequel Antoine Bourdelle s’installe en 1885, à quelques centaines de mètres de la gare Montparnasse, à l’époque entre ville et campagne, accueille aujourd’hui le musée Bourdelle, musée de la Ville de Paris, qui a rouvert ses portes après d’importants travaux de restructuration. Une déambulation est proposée autour de jardins hantés de sculptures, avec, d’entrée, la sculpture monumentale d’Héraklès archer. On peut musarder dans ce lieu poétique à la découverte des riches collections. Conçue par l’architecte Christian de Portzamparc, l’aile moderne est réservée aux expositions temporaires. Actuellement « Corps à Corps », sous le commissariat d’Ophélie Ferlier-Bouat, directrice du musée Bourdelle.

Torses – ©Chantal Vérin

Au Salon de 1888, Bourdelle est fasciné par un marbre de Rodin, buste jaillissant d’un bloc irrégulier, ponctué de traces d’outils, pierre brute inaccomplie. En 1901, Bourdelle présente Le Poète, un marbre volontairement inachevé : un jeune homme à la peau lisse semble chercher son inspiration vers le ciel tandis qu’un autre personnage à la peau rugueuse apparaît à l’arrière sous la forme d’une créature informe. Préfiguration de La Nuit, une tête prise dans sa gangue de marbre qui porte les marques d’une pratique laissée visible. « Je reviens toujours au rocher, que ce soit le marbre ou la pierre… ».

A. Rodin – La Centauresse – Bronze – ©Musée Rodin – Photo Hervé Lewandowski

Entre 1893 et 1907, Bourdelle taille une dizaine de marbres pour Rodin dans ses ateliers. De son côté, Rodin soutient le jeune sculpteur, notamment pour « Le Monument aux combattants » de Montauban. Les trois têtes hurlantes sont un assemblage d’études distinctes évoquant l’horreur de la guerre.

Dans la première salle, deux grandes figures traitant de la figure d’Adam de 1880 et 1889, l’une de Rodin, l’autre de Bourdelle, représentent à elles-seules la proximité des deux artistes. La section centrale de l’exposition met en évidence les affinités des deux sculpteurs, collectionneurs insatiables d’œuvres égyptiennes, hindoues, japonaises, perses ou médiévales. Rodin offrira à Bourdelle un moulage d’un kouros, représentation d’un beau jeune mâle, trouvé sur l’île de Santorin.

A.Rodin – Rose Beuret – Marbre exécuté par A.Bourdelle – Donation Rodin 1916 – Paris, musée Rodin

Autres incontournables rapprochements : la série des masques et les fragments (tête, main, torse) qui permettent de faire alterner études d’expression et études réalistes, tout en constituant une œuvre définitive. Mains crispées, désespérées, au modelé vibrant et suggestif. Masques plébiscités par les artistes, en quête d’expression synthétique. Sans visage et sans regard, le torse concentre présence et énergie vitale. Autre thème de prédilection : les mythes et leur cortège de créatures hybrides : variations autour du Centaure, voire de la Centauresse par Rodin.

En 1907, Bourdelle, autonome, cesse de travailler pour Rodin. Vers 1910, il présente un bronze représentant son aîné. En 1911, il reprend sa « Tête d’Apollon », placée sur une grande base cubiste et remplace le cou par un polyèdre aux arêtes vives. L’œuvre marque ainsi la rupture artistique avec Rodin, et signe définitivement son originalité.

Antoine Bourdelle – Tête d’Apollon avec base carrée – Bronze CCO paris – Musées: Musée Bourdelle

Rodin a été un maître adulé de toute une génération de jeunes sculpteurs français et plus largement de l’Europe entière. Bourdelle en conserve l’expressivité sans pathos. 

En épilogue, une dernière section présente quelques hommes qui marchent, soumis à un destin qui les dépasse. L’influence de Bourdelle se retrouve dans le Serf de Matisse, L’homme qui marche de Germaine Richier, et l’être filiforme d’Alberto Giacometti.

Catalogue publié sous la direction d’Ophélie Ferlier-Bouat et de Jérôme Godeau, historien d’art.

En Une : Antoine Bourdelle – Le Poète ou Le Jour et la Nuit – CCO Paris Musées : Musée Bourdelle