… l’artiste viendra à toi ! » Rencontre artistique entre des élèves d’école primaire et l’écrivaine illustratrice Marie Dorléans.
Dans son livre « La pédagogie Charlotte Mason », Laura Laffon partage avec nous la philosophie et la méthodologie visionnaire de cette institutrice précurseur : « Les enfants naissent friands de connaissances. (…) Le travail d’éducateur est d’exposer l’enfant à un maximum de belles et grandes idées (…) leur donnant maintes occasions de développer leur imaginaire. »
Depuis plusieurs années l’Académie de Strasbourg, en partenariat avec la Direction régionale des affaires culturelles Grand Est et avec le soutien financier du Acmisa, organise des « Rencontres d’écrivains » dans les écoles, les collèges et les lycées. Cette initiative s’inscrit dans le PEAC (Parcours d’Education Artistique et Culturel) pour sensibiliser les enfants et les adolescents à la création artistique et à la diversité culturelle. Céline Fromholtz-Wachbar, Professeure de français en Lycée et depuis cette année Coordonnatrice académique des Rencontres d’écrivains de la Délégation académique à l’action culturelle du Rectorat de l’académie de Strasbourg, m’explique que « ce dispositif est mis en place pour transmettre aux élèves un intérêt pour l’art et une curiosité pour la culture, leur apprenant à s’ouvrir et à s’aventurer dans l’inconnu. Ces rencontres permettent une transmission par des artistes confirmés ayant ainsi suffisamment d’expérience et de matière à échanger avec les élèves. Les auteurs qui participent à ces échanges ont un désir de partage et une réelle envie de rencontre avec la jeune génération. Des découvertes et des ateliers sont organisés le plus souvent en amont de ces rencontres dans les classes. Suite à ces séances, les institutrices et les professeurs mettent en place la plupart du temps d’autres ateliers de création et de réflexion avec leurs élèves. Ces échanges permettent aux jeunes d’élargir leur horizon culturel, leur imagination, leurs réflexions et leurs connaissances. Ils s’interrogent sur des sujets de la vie quotidienne et même sur des questions philosophiques profondes. » La balle est lancée. Elle va rebondir longtemps chez certains, ré(ai)sonner et faire naître parfois des vocations de carrières.
Le choix des artistes est difficile tellement les propositions intéressantes sont nombreuses. Elles viennent soit des auteurs, soit des établissements. C’est également à la suite de rencontres lors de salons du livre que la Coordonnatrice académique des Rencontres d’écrivains peut inviter des auteurs et illustrateurs à intervenir dans les classes. Le critère de sélection d’un auteur n’est pas obligatoirement « territorial ». L’originalité, la qualité et la singularité du travail de l’artiste prédomine. La sélection des auteurs n’est donc pas liée et limitée à leur présence sur un territoire géographique. Force est de constater que les jeunes enfants sont d’autant plus intéressés et sensibles à rencontrer des artistes s’ils viennent de leur région. Ils s’identifient à eux. C’est le cas avec Marie Dorléans. Originaire d’Alsace, cette illustratrice talentueuse, « inventeuse » et « raconteuse » d’histoires est accueillie dans l’école primaire de La Monnaie à Molsheim (région du Grand-Est). Diplômée des Arts décoratifs de Strasbourg, récompensée de multiples prix, elle a publié de nombreux livres pour enfants aux éditions du Baron Perché, des Braques, chez Sarbacane et au Seuil jeunesse. Dans ses splendides albums elle propose aux jeunes lecteurs de découvrir une dimension fantaisiste de notre univers dans des histoires poétiques et humoristiques. Sa signature picturale est reconnaissable au premier coup d’oeil . Son coup de crayon précis, sa vision sensible et douce du monde font de chacune de ses planches de dessin une véritable œuvre d’art.
Du rêve au réel, de l’imaginaire au livre d’illustration.
Les élèves des classes de Mme Poupin, Mme Flick et Mme Schaffroth ont lu presque tous les livres de Marie Dorléans. Ils adorent ! L’artiste va venir aujourd’hui dans les salles de classe pour leur faire découvrir le chemin qu’elle emprunte pour réaliser chacun de ses livres. C’est un long parcours qu’elle doit suivre de l’élaboration rêvée du livre à l’impression et la distribution de celui-ci. Les élèves sont excités à l’idée de rencontrer une « vraie dessineuse ».
Marie souhaite leur faire découvrir son travail passionné d’illustratrice. De quoi a-t-elle besoin pour inventer des histoires ? L’imagination est l’organe névralgique et vital de toutes ses inventions. C’est un muscle qui se travaille et se développe à la force des désirs, des rêveries et des coups de crayon. Le plaisir est avant tout primordial, la patience et la persévérance nécessaires. Dans notre époque contemporaine qui se dématérialise chaque jour un peu plus et où le virtuel artificiel remplace l’incarné, notre imaginaire se trouve trop souvent happée et réduit par ce que nous proposent les écrans. Cette surconsommation qui s’intensifie chez les très jeunes diminue de façon inquiétante leur capacité à rêver et à imaginer. Elle met à mal leur appétence à penser le monde autrement. Ce champ de vision réduit, stéréotypé et limité appauvrit leurs forces créatives et imaginatives.
Marie raconte aux enfants : « Mes parents m’ont offert un cadeau extraordinaire quand j’étais petite et qui m’a permis de développer mon imaginaire. Ils m’ont offert des moments d’ennui. Sans pouvoir regarder la télé, seule dans ma chambre ou dehors, après un temps d’attente et de questionnements, je commençais à rêver et à imaginer. Ces heures à ne pas savoir quoi faire se transformaient en moments d’exploration au plus profond de mon imaginaire. Ils m’ont amené à inventer des histoires décalées et personnelles. Ce plaisir ne m’a jamais quitté et j’en ai fait mon métier.»
La première étape essentielle dans la création d’un livre est de « rêver son livre ». Les images cérébrales et fantaisistes font surface. Elles transparaissent ensuite en de multiples dessins faits au crayon à papier. Les croquis font ainsi apparaître des protagonistes, des décors, qui seront les éléments clés pour la mise en place de l’histoire naissante. S’en suit alors la création du storyboard pour planifier les besoins de l’ensemble des plans de l’histoire. Ce « scénarimage » permet à l’illustratrice d’affiner d’avantage ses idées et de choisir les « meilleures options». Cette étape peut prendre énormément de temps. Pour « ne pas avoir de regrets » tous les recoins de l’imaginaire sont creusés et déblayés. Les meilleurs choix sont finalement gardés. Dans une immense fourmilière de croquis et d’idées, Marie sélectionne les pépites qu’elle taillera, affutera et chouchoutera. Dans une «nymphose», les dessins de personnages et de motifs multiformes se colorent. Ils sont superposés ensuite sur des fonds teintés ou peints. Dans cette phase d’émergence, des pages entières sont recouvertes de bleus, de verts et d’oranges aux nuanciers immatériels. Ces aplats et fonds serviront de ciels étoilés, de paysages bucoliques et d’univers architectural pour l’histoire. Dans une ultime « mue imaginale » le texte s’ajoute enfin aux images. Cette mise en page donne ainsi à l’histoire sa forme définitive, offrant aux dessins un souffle et une musicalité. La « chrysalide de l’imaginaire » s’est muée en une splendide « histoire-Lépidoptère ». Elle est enfin prête à déployer ses ailes et à prendre son envol.
« Oh ! des bonhommes en forme de bizarre ».
Marie propose aujourd’hui aux élèves un atelier de dessin en utilisant uniquement le crayon à papier. Elle leur propose de découvrir les nombreuses possibilités que cet outil familier offre pour développer son imagination et la faire apparaître. Ce jeu créatif est un aller-retour permanent entre « faire » et « imaginer ». Partageant avec l’artiste la simplicité des gestes, les enfants découvrent le plaisir de « prendre son temps ». Ici pas de concours de vitesse, pas de comparaison avec les camarades, pas de course effrénée à avoir fini le premier. Le but n’est pas de réussir. Ce qui compte est d’observer, de ressentir, d’essayer, de découvrir, de tracer, de gommer. L’expression artistique permet à chacun et à chacune de s’exprimer en toute liberté et de réaliser que tout est possible. C’est un acte libérateur et déclencheur de prise de conscience et de prise de confiance en soi. A travers cet atelier finalement assez technique, les enfants s’embarquent dans un voyage où apparaissent sous leurs doigts des silhouettes, du remplissage et des personnages. Des motifs étranges où s’accumulent traits, tâches, formes bizarres et lettres recouvrent le papier. Parfois écrasées et parfois délicatement effleurées par la mine du crayon, les feuilles de papier exultent sous la pression des petites mains, laissant apparaitre l’imaginaire instantané et appliqué des enfants. Le temps se suspend. Des vagues de calme submergent la classe concentrée dans un même élan créateur. Soudain la fin de la séance sonne. « déjà ?! ». Marie et les enfants s’amassent devant le tableau noir pour immortaliser cette rencontre et garder une trace de cette expérience enrichissante et unique.
« La curiosité se cultive, elle se nourrit ». Cette idée chère au cœur de Charlotte Mason dans son idéal de philosophie éducative prend tout son sens dans de telles rencontres. « La priorité est d’y préserver la curiosité de chaque enfant (…) de cultiver son âme. Peu importe le métier auquel ces jeunes enfants se destinent : la culture est un droit ». Elle leur permet d’explorer la richesse du monde et de se projeter dans une multitude de futurs, colorés, ambitieux, sans limites.
Ndlr : Merci aux institutrices de l’école de La Monnaie d’avoir embarqué leurs élèves dans cette aventure et à Sandrine de m’avoir invité à les y rejoindre. Merci à Dominique et aux enfants de m’avoir accueilli dans leur classe et à Marie Dorléans pour nous avoir fait voyager. Merci enfin à Céline Fromholtz-Wachbar d’avoir pris le temps de répondre si gentiment à mes questions.
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