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On en parle

Suie et cendre

Gersende Petoux, le 25 octobre 2024

Diane Victor. Les visiteurs de la foire de Lille Art Up l’avaient remarquée cette année sur le stand d’honneur du musée du Dessin et de l’Estampe originale de Gravelines, annonciateur d’une exposition intitulée “Les Raisons de de la colère“, toujours à voir jusqu’au 11 novembre 2024. Au cœur d’une actualité importante et ambitieuse, l’artiste sud-africaine est conjointement dévoilée en dessins, gravures et estampes dans l’intimité feutrée du cabinet d’art graphique du LAAC de Dunkerque sous le joli titre évocateur de “Suie et cendre“.

Vue exposition

Difficiles, parfois tabous, sont les sujets abordés par Diane Victor. Cette artiste plasticienne est née en une terre qui a beaucoup souffert, marquée par la guerre, la corruption, le racisme, l’exil, la, que dis-je, les violences, la terre de l’Apartheid. Pour choix des armes, pacifistes à souhait, elle préfère gravures et dessins et dévoile, au travers d’une sélection d’œuvres mais aussi de créations totalement inédites pour le lieu, des sujets aussi crus que douloureux. 

“J’essaie de lutter contre une forme d’indifférence d’une partie de la société“, confie-t-elle, désireuse de susciter l’émotion et provoquer le débat par le biais de l’art. En quête de vérité et dans le souci du témoignage, l’exposition “Suie et cendre” chemine au cœur de l’âme humaine, des terres inhospitalières de la violence à celle promise de la résilience. Le titre de l’exposition nous renvoie aux techniques utilisées par l’artiste dans ses dessins et estampes, mais aussi à l’installation spécialement conçue pour l’évènement, au regard de cette architecture remarquable qu’est le musée de Dunkerque.

Diane Victor – Jumping the shadow – 2017 – Matière noire lithographique, publiée et imprimée à l’Atelier le Grand Village – 62,5×92 cm – Courtoisie Atelier le Grand Village

Les animaux représentés avec une désarmante beauté n’en sont pas moins de vils prédateurs : l’apparente douceur de l’hyène n’est que haine latente, l’homme-sanglier de “Jumping the shadow” s’apprête à dévorer une belle au corps dormant. Les œuvres présentées se jouent de la transparence et des effets de lumière et miroir exacerbés par les nombreuses ouvertures de ce lieu unique. Diffraction, transparence et réflexion projettent ainsi les visages des hommes et femmes, dessinés à même une fenêtre ouverte sur l’exil, sur le corps d’une pseudo sirène dévorant, telle la baleine de Pinocchio, les malheureux à jamais perdus en mer pour avoir rêvé trop fort d’un Eldorado par-delà les flots. 

De la pointe Sud de l’Afrique au territoire dunkerquois, il n’y a qu’un pas. Porte-parole de 14 femmes migrantes, Diane Victor renouvelle son engagement envers les questions sociétales au-delà de la simple création artistique. En collaboration avec le foyer Adoma à Dunkerque, le musée et l’artiste présentent un projet de reportage photographique où ces femmes, dont le courage et l’espoir transcendent le déracinement et la souffrance, partagent leurs histoires, leurs défis et leurs espoirs. Comment ne pas se reconnaître en Nathalie ? “Je vais à la plage quand la tête me chauffe”, dit-elle. “Là-bas, la paix règne. Marcher sur le sable me procure de la paix et de la sérénité”.

Diane Victor – The Deposition of Old Ideologies – 2020 – Fusain et cendres sur papier – 210×150 cm – Courtoisie de l’Atelier le Grand Village et Ben Skinner

“Notre mémoire est gravée de formes visuelles, de souvenirs et d’aventures qui sont inscrits dans notre corps, dit l’artiste face à un corps parfois malmené, brutalisé, torturé… Le parti pris de la beauté du trait et de la poétique mise en abîme des sujets choisis n’édulcore en rien le discours fort de Diane Victor, qui à l’instar de Goya ou Otto Dix, porte un regard critique et acéré sur ses contemporains, révélant par le biais de ses gravures les innombrables atrocités qui gangrènent notre société.

Jusqu’au 5 janvier 2025
LAAC – Dunkerque (59)