Voir l’Invisible

L’Art Brut et l’Au-delà

Dans cette nouvelle exposition sur l’Art Brut, Lucienne Peiry a réuni plus d’une centaine d’œuvres mises à disposition par des institutions et des collectionneurs et collectionneuses privé(e)s en Europe. La commissaire de l’exposition propose à voir et à percevoir sans jugement et dans une ouverture du cœur des œuvres surprenantes. Et de citer le philosophe Claude Lévi-Strauss : “L’un des grands malaises de notre société est d’avoir totalement séparé l’ordre du rationnel et l’ordre du poétique.” (1988).

La scénographie conçue par l’architecte Sarah Nedir propose de découvrir harmonieusement les œuvres d’artistes du XIXè siècle à aujourd’hui qui bousculent, nous interrogent et nous invitent à nous (re)connecter au plus profond de nous-mêmes. Avec plus de 40 expositions dédiées à l’Art Brut, anciennement Directrice de la Collection de l’Art Brut de Lausanne, historienne d’art, journaliste, conférencière et auteure de nombreux ouvrages, Lucienne Peiry nous invite ainsi à rencontrer des artisans de l’ombre, des artistes solitaires dissidents, indomptables, qui par leurs créations hors normes expriment et incarnent leurs obsessions. En quête de transcendance, souhaitant relier la matière au spirituel, les vivants aux morts, ces créateurs et créatrices marginales, exclus de la société, transforment leurs drames en œuvres et font face à leurs douleurs en expulsant “corps et âmes” des œuvres tout à fait remarquables et inclassables.

Ces hommes et femmes contestataires dénoncent les injustices sociales au travers de créations fantasmagoriques, des œuvres-totem, des parchemins, des mises en formes et en corps, qui sont le résultat de rituels parfois cathartiques. Suite à des révélations ou des expériences transformatrices, par la nécessité du hasard, ils sont appelés à créer des dessins, des découpages, des sculptures qui n’ont à leur yeux d’importance qu’en tant qu’”oeuvre-apotropaïque”, “oeuvre-message”, “oeuvre-témoignage”. Ces artistes qui expérimentent dans l’ombre se révèlent des plasticiens et des plasticiennes visionnaires et proposent des œuvres percutantes bien en avance sur les modes et sur leur temps, tour à tour installations contemporaines, œuvres “dadaïstes” ou des manifestations qui relèvent du “Body Art”.
Lucienne Peiry a rencontré plusieurs des artistes exposés et s’est entretenue avec eux sur leurs lieux de vie et de création. Elle nous fournit ainsi tout au long de ce parcours des cartels de présentation qui permettent de saisir la richesse et la complexité des œuvres. Elle nous confie : “J’y ai réuni des informations qui fonctionnent comme des coups de projecteur sur l’œuvre, sa signification, la démarche du créateur et le processus de création. Dans un deuxième temps, des faits biographiques sont également mentionnés, la vie et l’œuvre étant toujours intrinsèquement liées chez les auteurs.es d’Art Brut.”

Voir l’Invisible nous permet d’appréhender et de saisir avec subtilité et clarté les défis et les enjeux d’une création d’Art Brut. Dans notre société de l’apparence et du “bien pensant” qui exclut, réduit au silence et divise trop souvent, ces œuvres marginales rendent visible avec force et humilité l’inavouable parfois et révèlent toujours la complexité et la beauté de la nature humaine.

Jusqu’au 1er Juin 2025
Musée International de la Réforme – Genève – Suisse

En Une : Figures en papier de la Balinaise Ni Tanjung – ©Lundi13